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Audrey Diwan, réalisatrice de « Happening », parle de son drame érotique « Emmanuelle »

En ouverture du Festival du film de Saint-Sébastien cette année, « Emmanuelle » d’Audrey Diwan marque une suite inattendue à « Happening », lauréat du Lion d’or – du moins sur le papier.

Le réalisateur a plutôt suivi une ligne similaire, en utilisant une adaptation littéraire pour mettre l’accent sur l’expérience sensorielle, dans ce cas la quête évasive du plaisir physique. « Le projet était un projet de renouveau », explique Diwan. Variété« Faire revivre des sensations puis les partager avec le public. »

Actualisant le roman de 1967 d’Emmanuelle Arsan, la dernière version imagine une Emmanuelle trentenaire (Noémie Merlant) en sorte d’inspectrice du contrôle qualité des loisirs, envoyée pour tester le stress d’un hôtel de luxe de Hong Kong dirigé par Naomi Watts et hanté par un mystérieux invité joué par Will Sharpe.

Bien que centré sur le plaisir, le film ne satisfait pas toujours ces besoins, mettant autant l’accent sur la frustration que sur l’exaltation. « Le plaisir et sa quête doivent rester un mystère », explique Diwan. « J’ai donc voulu explorer le sujet de mon point de vue sans donner de réponse universelle. Comme chaque femme le sait, le plaisir a une définition très personnelle. »

Audrey Diwan

Comment avez-vous décidé de réaliser ce projet pour faire suite à « Happening » ?

Sur un plan très personnel, je me méfie du confort. Mon élan créatif est nourri par la passion et la peur, des choses qui me poussent à consacrer trois ans à un projet. Je n’ai donc pas été immédiatement convaincu lorsque mes producteurs m’ont proposé Emmanuelle. Je n’avais pas vu le film original – du moins pas dans son intégralité – mais j’ai trouvé le roman source fascinant. Aux deux tiers du film, le récit s’interrompt pour laisser place à une conversation de près de 100 pages sur la nature du désir. Cela m’a fait réfléchir : je me suis demandé si l’érotisme pouvait encore être un moteur narratif pertinent, et comment ces thèmes de 1967 pouvaient encore trouver un écho. Ces questions pouvaient-elles être traduites dans le langage cinématographique contemporain ?

Comment ça?

L’érotisme est fondamentalement une question de cadre, de tension entre ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Dans les années 70, le désir était de montrer davantage, ce qui a fait le succès du premier film. Sauf que j’avais le sentiment que ce qui restait caché était plus intéressant. J’ai pensé accentuer cette tension en demandant au spectateur de s’engager activement dans le film et de collaborer à l’histoire. Mais même cela n’était pas suffisant pour justifier cet engagement, du moins pas jusqu’à ce que je pense à cette idée d’une femme qui ne peut plus éprouver de plaisir et qui part en voyage pour le retrouver. [And after “Happening,”] Je me suis dit que si je pouvais représenter la douleur, je pourrais peut-être faire la même chose pour le plaisir.

‘Emmanuelle’

Comment avez-vous fait de ce monde le vôtre ?

Le film parle plus d’un rapport au monde que d’un rapport au corps. En prenant « Emmanuelle » et en l’utilisant comme un réceptacle – en laissant de côté les portraits précédents – j’ai voulu présenter une vision contemporaine, en me concentrant non pas sur une jeune ingénue mais sur une professionnelle de 35 ans et en construisant à partir de là. Ce genre de femme fait face à des attentes différentes, à une pression sociale pour devenir la « meilleure version d’elle-même » en profitant de tout, en recherchant de nouvelles vues ou expériences qui racontent finalement la même histoire. doit amusez-vous et vous devez réussir – et pour réussir, vous devez réaliser ce plaisir. Cela devient assez épuisant, alors [co-writer Rebecca Zlotowski and I] j’ai imaginé un processus consistant à lâcher prise, à ouvrir une fenêtre, à prendre une profonde inspiration et à abandonner ces diktats.

Pourquoi situer le film dans un hôtel de luxe ?

Un hôtel de luxe est un lieu vertigineux, comme nous l’avons constaté lors du tournage. L’odeur, la musique, tout est éternel et immuable. Si quelque chose bouge, cela revient à sa place initiale le lendemain. Il y a une sorte de vertige dans cet éternel présent, une atmosphère séduisante mais stérile. Le chaos est rare, et même lorsqu’il se produit, il est vite aplani. Emmanuelle elle-même devient un instrument de ce monde. Elle travaille au contrôle qualité, s’assure que les expériences des clients soient aussi agréables que possible. Mais elle sait que ces expériences sont artificielles, qu’elles font partie d’un décor.

Le décor et la présence de Will Sharpe rappellent « Le Lotus blanc ».

Oui, c’est drôle de voir combien de films et de séries explorent ce thème. Je ne peux pas parler pour les autres, mais « Le Lotus blanc » joue certainement avec la même idée des apparences et de l’individualité, en explorant ce qui se cache sous la surface. L’environnement de l’hôtel crée une distance sociale et chacun porte une sorte d’armure. Il y a une distinction entre l’individualité publique et ce qui se passe derrière des portes closes, tandis que le lieu raconte une histoire de solitude moderne. Nous rencontrons des gens, mais nous ne les rencontrons pas vraiment. L’hôtel promet quelque chose d’exotique, mais d’une manière qui n’implique pas un véritable engagement avec le monde.

‘Emmanuelle’

Dans de nombreuses scènes intimes du film, Emmanuelle est seule. Pourquoi privilégier une forme d’expression plus onaniste ?

C’est aussi le reflet de ce rapport vide au monde. Les gens ont envie de renouer des liens, car pour trouver un vrai plaisir, il faut d’abord sortir de sa bulle solitaire et s’intéresser vraiment aux autres. Au final, je voulais que le film explore à quel point le plaisir artificiel peut être étouffant. À un moment donné, on a envie de s’affranchir du décor, de quitter l’hôtel où chaque interaction est codifiée et écrite à l’avance, un lieu où il n’y a tellement pas d’imagination qu’il n’y a pas de place pour la fantaisie. C’est ce moment-là que j’ai voulu mettre en avant, cette envie de s’évader et de respirer après s’être senti enfermé.

Le film n’est pas une révision féministe directe — comme la presse française l’a étrangement suggéré — et n’est pas non plus ouvertement charnel.

Les journalistes français décrivent souvent n’importe lequel La remise en question du plaisir féminin comme féministe. En fait, dans les années 1970, Emmanuelle était qualifiée de féministe pour exactement la même raison ! Bien sûr, le nom d’Emmanuelle a une forte connotation, et ceux qui connaissent déjà mon travail ont certaines attentes, mais je ne voulais pas faire un film qui bouleverserait simplement les codes précédents. Cela me paraissait un peu simpliste et cela aurait été une expérience très restrictive.

Je ne voulais pas non plus limiter l’érotisme du film à quelques scènes de sexe. J’aurais alors vraiment l’impression de faire un mauvais film de sport, vous savez ? L’érotisme, pour moi, c’est une atmosphère. Il s’agit de remplir le cadre de surprise et de désir. J’ai revu « La mère et la putain » de Jean Eustache en écrivant et je me suis rendu compte à quel point les dialogues peuvent être érotiques. Même quelque chose d’aussi simple qu’un orage, lorsqu’il est sensoriel et s’insinue dans un lieu qui se prétend parfait, peut provoquer ces sensations.

Étant donné le contexte et le récit d’un flirt prolongé, une certaine comparaison avec Wong Kar-wai vient à l’esprit.

C’est sûr. Quand on demande aux gens de citer un film érotique, « In the Mood for Love » revient souvent, alors qu’il s’agit de gens qui se bousculent et se frôlent dans les couloirs. Et j’adore cette définition de l’érotisme ! D’ailleurs, quand on est à Hong Kong, on ne peut pas résister à cette référence.

En fait, pendant très longtemps, je n’ai pas pu me rendre à Hong Kong à cause des restrictions liées au Covid. J’ai donc cherché un hôtel sur Internet et j’ai décidé que c’était exactement là que je voulais faire mes photos. Puis, une fois que j’ai pu enfin faire des repérages en personne, j’ai vu 40 autres endroits, mais je suis resté sur un que j’ai découvert en ligne. Et un jour, j’ai rencontré le décorateur de l’hôtel et il m’a dit qu’il avait décoré l’hôtel avec « In the Mood for Love » en tête. D’une certaine manière, l’influence était inévitable et nous n’avons pas essayé de l’éviter.

« Emmanuelle »

Comment avez-vous abordé les moments les plus intimes du film ?

On travaille sur quelque chose qui ne se voit pas. Le tic physique le plus sincère, le plus incontrôlable et le plus difficile à montrer, c’est l’orgasme. Et pourtant, cet orgasme féminin est très souvent représenté – et Noémie et moi en avons beaucoup parlé – d’une manière qui ne sortirait pas d’une femme qui aurait vécu un vrai moment de plaisir. Représenter ce moment est très compliqué, notamment parce que, en tant qu’actrice, Noémie simulerait quelque chose qui ne pourrait pas ressembler à un faux orgasme.

Nous avons cherché à nous éloigner des représentations précédentes, tout en faisant sonner vrai ce qui était faux, et le processus était épuisant. Nous avons tourné prise sur prise toute la nuit, sans jamais avoir l’impression d’être arrivés au bon endroit. Et puis, avec l’épuisement est venue l’inspiration. Noémie a remarqué que son corps se relâchait, et elle s’en est servie. Avec la fatigue, à un moment donné, il se passe quelque chose qui ne se mesure pas, qui ne se prépare pas : un soupir et un sourire.

Comment avez-vous abordé le sujet avec Merlant ?

Nous avons évoqué la culture du corps féminin en images, car on apprend souvent aux femmes à se présenter au regard. Il s’agit en quelque sorte de mettre le corps en spectacle, et nous avons essayé de travailler contre cette idée. Noémie cherche à explorer les sensations, les émotions et les expériences intérieures du personnage plutôt que de montrer les siennes. Avec Laurent Tanguy, le directeur de la photographie, nous avons cherché à capter l’image sans que la caméra ne devienne intrusive. L’objectif était d’inverser la dynamique traditionnelle entre la caméra et l’actrice, de permettre à l’actrice d’explorer et de rechercher son corps tandis que la caméra l’interroge et interagit avec elle.

‘Emmanuelle’

Le fait de travailler avec un acteur qui réalise également un film affecte-t-il votre relation sur le plateau ?

Oui, c’est vrai. En fait, Noémie et Will ont tous deux une expérience de mise en scène, donc nous avons tous les deux eu une collaboration très intéressante, avec de nombreuses conversations sur le cadrage. Ils comprenaient tous les deux intuitivement les deux côtés de la caméra, et ils partageaient leur regard avec le mien. C’était un exercice fascinant.

Noémie a commencé sa carrière en tant que mannequin, elle comprend donc très bien le cadre et son corps au sein de celui-ci, et s’intéresse profondément au sujet, comme en témoigne son propre film, « Les Balconettes ». Se concentrer sur ces questions l’a libérée ; elle est très libre car elle sait exactement comment elle veut représenter le corps.

Will est anglo-japonais et il voulait travailler sur ses racines japonaises ici. Il est tout aussi attentif à la représentation. Mon directeur de casting a laissé entendre que nous nous entendrions bien, mais n’a rien dit de plus. Alors quand je l’ai finalement rencontré, il était tellement excité de me le dire qu’il s’est retrouvé à la maison avec ses enfants le soir du Nouvel An et a décidé de regarder « Happening » une fois que l’horloge a sonné minuit. Il a dit que c’était un signe qu’il avait commencé l’année en réfléchissant à ces questions !

Audrey Diwan et Noémie Merlant

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