Un photographe montréalais photographie la sous-culture moins connue du Cuba contemporain
Le photographe montréalais Jean-François Bouchard vient de publier Les nouveaux Cubainsun livre d’images explorant les sous-cultures cubaines. Pensant qu’il allait remettre en question les stéréotypes selon lesquels Cuba était une société communiste conformiste, il a recherché les communautés de jeunes, queer et de genre divers et a demandé aux gens de poser devant son appareil photo. Ses photographies, souvent prises de nuit, montrent leurs sujets costumés et tatoués dans des décors domestiques richement décorés : un quatuor radical pose devant La Cène; un homme en spandex est assis dans un appartement en ruine des Beaux-Arts. Bouchard offre une image radicalement différente d’une île longtemps associée aux plages, aux cigares et aux voitures anciennes.
Quand avez-vous visité Cuba pour la première fois ?
Dans les années 90, il y a si longtemps. Je suis allé à Cuba à de nombreuses reprises au cours des dernières décennies. Mais c’est en 2016 que j’ai commencé à ressentir quelque chose de différent, principalement à cause de l’accès récent à Internet. Et ce n’est qu’en 2019 qu’internet est devenu accessible sur smartphone. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à observer son impact sur la culture des jeunes. Pour la première fois, les plus jeunes ont pu réellement voir ce qui se passe dans le monde et cela les a inspirés, stimulés.
Qu’avez-vous observé ?
C’est une société qui n’est pas aussi uniforme qu’on pourrait le croire. La plupart des étrangers ne s’attendent pas à trouver une communauté LGBTQ+ florissante sous un régime communiste ou une sous-culture punk ou tatouée, une sous-culture drag queen.
Je voulais montrer ce côté moins traditionnel mais en même temps la situation économique s’est dégradée. Mes sujets souffraient et souffrent toujours du ralentissement économique à Cuba, des pannes de courant et d’une foule d’autres misères qui ont eu pour effet de créer une crise migratoire massive. De nombreuses photos ressemblent à des souvenirs d’amitiés et d’amours perdus : au cours des deux dernières années seulement, on estime que 10 % de la population a quitté l’île.
Parmi mes sujets – j’ai eu environ 300 personnes – j’estime qu’un quart ont quitté l’île depuis le début de mon projet.
Comment avez-vous rencontré ces personnes ?
Je suivais ces différentes sous-cultures sur Instagram et j’ai croisé la route d’une jeune femme, Devon Ruiz, artiste et créatrice de mode. Nous nous sommes bien entendus et elle est devenue ma clé de cette Havane moins connue.
Les décors sont très décorés, également assez sombres et gothiques. Est-ce le choix de la gardienne ou le vôtre ?
C’est un mélange des deux. Historiquement, je travaillais beaucoup la nuit car j’avais un travail de jour avant de devenir artiste. Je viens de m’intéresser à ce qui se passe lorsque le soleil se couche. C’est donc ma faute. Mais les décors de La Havane sont assez saisissants. Il y a une approche maximaliste et les gens gardent les objets décoratifs pendant des décennies.
Ces décors sont assez fréquents dans la vieille Havane et aussi dans un quartier appelé Centro, où j’ai pris beaucoup de ces photos. Ce n’est pas une mise en scène dans ce sens. En même temps, nous avons choisi de créer un contraste entre la modernité de la jeunesse et les aspects traditionnels que l’on ressent dans la décoration.
Parfois, nous voyons Cuba comme un pays figé dans le temps en raison des sanctions américaines et des gens qui circulent encore dans des voitures datant d’avant la révolution. Cela fait écho à cela…
Cela fait partie de ce qui m’a inspiré ; il y a cette qualité figée dans le temps à Cuba. Mais en même temps, ses citoyens sont étroitement liés à ce qui se passe dans le monde. Et donc très moderne.
Ces personnes sont-elles socialement isolées ou réprimées à Cuba ?
En matière de droits LGBTQ, par exemple, Cuba est assez progressiste. Il existe un haut niveau d’acceptation des modes de vie personnels. Les gens que j’ai rencontrés se sont sentis isolés, c’est parce que leurs amis ou membres de leur famille ont quitté l’île.
Il n’y a donc aucune crainte de persécution ?
C’est un projet culturel que je fais, pas politique. C’est une société assez ouverte sur les modes de vie. Parfois, les gens confondent « expression », au sens de liberté d’expression, avec expression de style personnel.
Alors peut-être que le vieux stéréotype d’une culture de parti est toujours d’actualité ?
C’est une culture festive, mais n’oublions pas qu’il s’agissait de la jeune génération. Alors ils s’amusent plus que nous.
Les photographies des Nouveaux Cubains de Jean-François Bouchard sont exposées à la galerie Blouin Division à Montréal jusqu’au 16 novembre.
Cette interview a été éditée et condensée.