Tout le monde voudra jouer avec Rafaël Harvey-Pinard

Les casquettes pleuvaient sur la patinoire, la foule était en liesse, et Rafaël Harvey-Pinard, tout sourire, n’entendait rien de ce que lui disait Alex Belzile. Il était trop délivré par le moment qu’il vivait, par l’éblouissante réalité du tour du chapeau qu’il venait de compléter et il n’a rien retenu de ce que son vétéran coéquipier racontait.

Au milieu de la clameur, Brendan Gallagher a bien essayé de le convaincre de se lever au banc pour saluer la foule, mais Harvey-Pinard, sachant que le match n’en était encore qu’à sa deuxième période, s’est gardé une petite gêne.

Gallagher se serait peut-être moqué de Harvey-Pinard si ce dernier avait mordu à l’hameçon, mais il n’a pas boudé son plaisir de voir la recrue de 24 ans vivre un moment de la sorte.

Après tout, c’est la nouvelle sensation locale, c’est le choix de septième ronde que tout le monde avait boudé deux fois au repêchage, c’est le jeune qui, durant la pandémie, a été livreur pour Uber Eats et travaillait pour une compagnie de vitres d’auto afin de payer le loyer pendant qu’il n’y avait pas de hockey.

C’est un moment d’exaltation que Harvey-Pinard n’a pas été seul à vivre; tous ceux qui sont dans son coin – et ils sont nombreux – ont partagé le moment.

« Je sais qu’il va être un très bon joueur pour nous, a dit Gallagher après la victoire de 8-2 du Canadien contre les Blue Jackets de Columbus. Il est un de ces gars qui a dû travailler pour toutes les opportunités qu’il a eues, de sorte que lorsqu’il reçoit une chance comme celle-ci, il comprend comment en tirer profit, et c’est exactement ce qu’il un fait. Je pense qu’il a eu la bonne attitude. Il apprend, il écoute tout ce qu’on lui dit. Pour moi, c’est un joueur très intelligent, capable d’assimiler les choses très rapidement.

« C’est un joueur avec lequel beaucoup de gars vont jouer vouloir sur un trio. Je pense qu’il va vraiment faciliter la vie de ses coéquipiers. S’il continue sur sa portée avec la même attitude, il va faire beaucoup de bonnes choses dans cette ligue. »

La dernière fois qu’un joueur du Canadien avait réussi un tour du chapeau en une période, Erik Cole avait inscrit trois buts dans l’espace de 5:41, le 23 mars 2012, un peu plus d’une semaine après qu’il coupé marqué un but et fait un tape m’en cinq à l’arbitre, de loin le moment le plus marquant du passage de Cole à Montréal.

Et la dernière recrue du CH à avoir enfilé trois buts en une période s’appelait Dick Gamble, un type dont la principale contribution au hockey est le fait qu’une photo prise de lui dans l’uniforme tricolore dans les années 50 a servi de modèle pour les figurines en aluminium des premiers jeux de hockey sur table.

Mais Harvey-Pinard, lui, qui a enfilé trois buts en deuxième période pour mettre les Blue Jackets hors d’état de nuisible, n’aurait pas pu se retrouver sur un jeu de hockey sur tables. Dans ces jeux-là, les ailiers sont forcés de rester en périphérie dans les tracés pour lesquels ils sont condamnés. Pas moyen de les faire converger au filet pour qu’ils récupèrent un retour de lancer, ou pour qu’ils complètent un échange tic-tac-toe, ou pour qu’ils redirigent la passe d’un coéquipier dans le bas de l’ enclave lors d’un avantage numérique.

Harvey-Pinard a marqué ses trois buts à moins de 20 pieds du but en étant à chaque fois là où il devait être.

C’est l’une des principales qualités que l’on observe chez lui depuis son arrivée dans la LNH, le fait que ses lectures de jeu l’amènent plus souvent qu’autrement à être à la bonne place au bon moment.

« Il ya de la prévisibilité dans son jeu, a noté Martin St-Louis. (Ses coéquipiers) savent ce qu’il va faire, ils savent où il va être. »

Ce qui est frappant ces jours-ci, c’est la connivence qu’il développe avec Nick Suzuki. Lorsqu’ils sont sur la glace ensemble à 5-contre-5, le Canadien marque 61% des buts (19 contre 12) alors que Suzuki, sur l’ensemble de son travail, a un ratio de buts de 51,7% à 5-contre-5 cette saison.

Complice sur deux des buts de Harvey-Pinard, samedi, Suzuki a connu sa première soirée de quatre points en carrière, et se retrouve sur une belle envolée de 10 points en quatre rencontres.

« Il a été une énorme surprise pour nous et pour la plupart des fans, une Suzuki reconnue à propos de Harvey-Pinard. Je suis très fier qu’il connaisse le succès qu’il a cette saison. Il est devenu un élément important pour nous, et c’est vraiment le plaisir de voir ça. »

Harvey-Pinard a généré avec Suzuki plus de chances dangereuses par tranches de 60 minutes que n’importe quel autre ailier ayant évolué cette saison avec le capitaine.

« On se trouve facilement sur la patinoire, à proposer Harvey-Pinard. On se complète bien dans la mesure où, au niveau du positionnement, on est deux joueurs différents, ce qui fait qu’on est équilibrés sur la patinoire. Offensivement ça nous permet de créer plus d’occasions de marquer. »

Mais bizarrement, c’est peut-être dans sa zone que Harvey-Pinard pourrait se révéler le plus utile pour compléter le trio de Suzuki. Les preuves restent encore à faire à cet attendu, ce n’est qu’une hypothèse, mais on a observé que lorsque l’adversaire s’installe en zone du Canadien, il arrive au trio de Suzuki de rester de longs moments coincés dans sa zone. C’était particulièrement remarquable quand Cole Caufield le flanquait. Si le Canadien peut trouver à Suzuki un ailier susceptible d’aider à interrompre le bourdonnement de l’équipe adverse et à sortir la rondelle plus rapidement de la zone, ce serait une carte de visite très intéressante pour l’ailier en question.

Est-ce que ça pourrait être Harvey-Pinard ? C’est se projeter bien loin dans l’avenir que de chercher à y répondre dès maintenant, surtout que même s’il démontre qu’il est capable d’améliorer le trio du meilleur centre de l’équipe, sa polyvalence jouera peut- être contre lui plus tard. Le fait que son style de jeu ne change pas en fonction de ses compagnons de trio pourrait faire de lui un joueur qui peut se propager d’une unité à l’autre sans problème, comme le progresser Artturi Lehkonen et Paul Byron à une autre époque .

« Au niveau de son éthique de travail, il est en avant, a décrit St-Louis. Son niveau de compétition. Il est très engagé des deux côtés de la glace. C’est rare qu’il ne fasse pas son travail défensivement et offensivement. Selon moi, c’est un jeune joueur qui est très engagé et qui lit bien le jeu des deux côtés de la glace, pas seulement où est la rondelle, mais aussi où sont ses coéquipiers et ses adversaires. »

Parmi toutes les recrues qui ont joué au moins 20 matchs cette saison, Harvey-Pinard pointe à égalité au troisième rang pour la moyenne de points par match. Et depuis qu’il a été rappelé pour disputer le match du 17 janvier, aucune recrue de la LNH n’a été marquée plus de buts que lui.

Il y a d’autres p’tits nouveaux qui, dans l’histoire du Canadien, ont fait leur marque en un court laps de temps. Mais dans le cas de Harvey-Pinard, la conversion de son style de jeu au calibre de la Ligue nationale s’est faite si naturellement qu’on ne craint pas trop le feu de pailles.

Il ne pleuvra peut-être pas souvent des casquettes, mais ce sourire béant au banc du Canadien, on risque de le voir souvent.

(Photo : Éric Bolté/USA Today)