Tom Mulcair : Un climat de changement pour les libéraux
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier un nouveau rapport et ses conclusions alarmantes sont une lecture incontournable pour quiconque se soucie du type de planète que nous allons laisser à nos enfants.
Le problème est qu’en dehors des cercles universitaires et des groupes environnementaux, ces rapports importants sont maintenant pour la plupart en train de tomber à plat. Il semble que le grand public soit passé par une sorte de désensibilisation systématique à la question.
On en parle depuis tant d’années qu’un nouveau rapport sur les effets dévastateurs du réchauffement climatique et du changement climatique obtient un haussement d’épaules, meh !
C’est comme si l’IPCC était une pauvre âme portant une pancarte-sandwich criant : « Repentez-vous, la fin est proche ». Facile à ignorer. Si le monde touche à sa fin, nous n’aurons pas à nous inquiéter (et qu’est-ce que ce type sait de toute façon ?)…
Qu’est-ce qui fait passer l’électeur moyen ?
Inflation : Maintenant c’est réel. Les Canadiens ordinaires en ressentent les effets chaque jour.
La guerre illégale de Vladimir Poutine contre l’Ukraine et les crimes contre l’humanité ? Oui, ceux-ci sont réels aussi. Voyez-les à la télé. Arrêtez le meurtrier !
Le refus de Justin Trudeau de permettre une enquête complète sur l’ingérence du Parti communiste chinois dans nos élections ? Vraiment réel ! Attaque ouverte aux fondements de la démocratie canadienne par une puissance étrangère. Trudeau monte-t-il la garde pour toieeeee? Pas tellement.
L’échec honteux du Canada à respecter ses obligations internationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre?
Quoi? On s’en fout? Les ressources naturelles sont l’épine dorsale de notre économie…
Lorsque le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault s’est assis à la table du Cabinet et a accepté le plan scandaleux de creuser des puits de pétrole dans le fond de l’océan au large de Terre-Neuve-et-Labrador, toute la fausseté des prétentions climatiques de Trudeau a été révélée.
Guilbeault, un écologiste autrefois respecté, était maintenant utilisé comme accessoire. Il emote lors de conférences internationales sur la biodiversité puis accepte de forer du pétrole dans des écosystèmes océaniques profonds très sensibles.
Guilbeault a déjà annoncé qu’il prévoyait de « collaborer » avec le chef de la conférence sur le climat de cette année qui se tiendra à… Dubaï ! Quel mot parfaitement approprié : « collaborateur ». Sorte de roule sur la langue comme « rapporteur spécial ».
Guilbeault croit apparemment qu’il y a assez de laine au Canada pour couvrir les yeux de tout le monde en même temps.
Il a le culot de prétendre que ce nouveau projet pétrolier massif sera neutre en carbone ! Bien sûr, c’est de la pure absurdité, mais voici comment il l’explique : le Canada n’inclura tout simplement pas, dans son bilan, les gaz à effet de serre qui seront libérés lorsque ce pétrole sera brûlé ailleurs. Comme par magie, l’extraction de combustibles fossiles au Canada devient un projet « net zéro ».
Ce serait drôle si ce n’était pas si triste.
Trudeau a trompé tout le monde sur le changement climatique lors de la campagne de 2015, alors que j’étais l’un de ses adversaires. Il ne maîtrisait aucun des détails mais toutes les lignes désinvoltes.
Il fallait arrêter d’opposer l’environnement et l’économie. Oui, bien sûr, mais qu’est-ce que tu vas faire ?
Vendredi dernier, l’Aviation royale canadienne de Trudeau a fait voler le jet d’affaires privé vide du premier ministre de Toronto à l’aéroport régional de Waterloo – un vol de 10 minutes et 65 kilomètres – afin qu’il puisse éviter le retour à Toronto pour se rendre à Ottawa. C’est comme ça depuis huit ans.
« Le Canada est de retour » était sa vantardise à la conférence sur le climat de Paris peu après son élection en 2015. Il a juste oublié de mentionner qu’il allait en fait revenir avec le plan, les échéanciers et les objectifs de Stephen Harper et… des avions privés.
TOUJOURS À LA RETARD, MAIS AVEC DES CHAUSSETTES COOL
Il nous a fait nous sentir tellement mieux dans notre peau que Harper, que cela n’avait pas d’importance que nous ayons eu l’un des pires records depuis la signature de l’accord avec Paris. Nous sommes toujours à la traîne mais nous avons des chaussettes sympas.
Le Canada continue d’accorder des subventions au secteur pétrolier et gazier malgré nos engagements internationaux d’y mettre fin.
Trudeau continuera à émouvoir, à prendre position et à faire plus de mal à la planète. Le problème est que son principal adversaire aux prochaines élections, Pierre Poilièvre, s’oppose dogmatiquement même à la modeste taxe que nous avons sur le carbone (et qui est en fait remboursée à la famille moyenne).
Poilièvre a raté une excellente occasion la semaine dernière de marquer des points lorsqu’on lui a demandé sans détour s’il volerait sur des avions commerciaux s’il devenait premier ministre. Il y a clairement pensé, mais après une courte pause, il ne dirait pas qu’il renoncerait à l’avantage de l’avion privé qui tue le climat qu’il utilise pour frapper Trudeau.
Malgré ses grandes intentions et sa forte critique, le plan que Jagmeet Singh a présenté lors de la dernière campagne a été critiqué par des experts reconnus, comme Mark Jaccard, comme étant dépourvu de substance. Il a l’occasion de prendre les devants sur la question cette fois-ci s’il fait ses devoirs.
Elizabeth May a finalement réussi à détruire totalement le Parti vert qui, tragiquement, ne joue aucun rôle pour nous amener au net zéro.
Le Canada a vraiment la chance d’avoir une telle richesse de ressources naturelles. Tout, de nos forêts à nos minéraux stratégiques. Le Canada possède également 20 % de l’eau douce du monde, peut-être notre plus grande source de capital naturel alors que nous sommes confrontés à l’inévitable réchauffement climatique qui assèchera cette précieuse ressource dans de nombreux pays parmi les plus pauvres du monde.
Le changement climatique créera des problèmes de sécurité qui feront pâlir la crise des réfugiés syriens en comparaison. Les guerres se poursuivront à mesure que les lieux de vie se raréfieront. Le monde sera un endroit très différent car ce que nous avons fait sur l’environnement se répercute dans nos économies et nos sociétés. Les questions de gouvernance ne seront pas les seules à s’inquiéter pour Wall Street, Main Street ne sera peut-être plus jamais la même.
Le Canada est un État phare en matière de changement climatique. Comme d’autres, nous semblons comprendre les causes et les solutions mais n’avons jamais eu les moyens d’agir. On parle d’un bon jeu mais c’est pour le show dans les conférences internationales. Le fait est qu’il n’y a eu aucun résultat tangible de nos gouvernements successifs depuis que les libéraux de Chrétien ont signé l’accord initial de Kyoto il y a une génération.
Comme l’ancien chef de cabinet de Chrétien, Eddie Goldenberg, l’a admis plus tard, les libéraux ont complètement échoué parce qu’ils n’avaient jamais eu de plan pour atteindre les nobles objectifs. Au lieu de cela, il s’agissait de « galvaniser l’opinion publique ». Autrement dit, c’était du théâtre politique et une opération de branding pour les libéraux.
MARK CARNEY PEUT ÊTRE NOTRE MEILLEUR ESPOIR
Il est contre-intuitif de dire qu’un banquier central est peut-être notre meilleur espoir, mais Mark Carney a fait un travail révolutionnaire pour impliquer le secteur des entreprises dans la lutte contre le changement climatique. Les définitions du zéro net et des compensations seront toujours un problème, mais la seule chose qui compte est le résultat mesurable.
Carney a fait preuve de compréhension et de volonté de mettre à profit ses décennies de travail en tant que gouverneur des banques du Canada et d’Angleterre pour aider à sauver la planète. Il y a une délicieuse ironie dans le fait que la personne la mieux placée pour contrer la guerre de droite contre le reporting ESG (environnemental, sociétal et de gouvernance) dans le secteur de l’investissement est la personne qui en sait le plus sur les investisseurs.
Les hauts fonctionnaires fédéraux ont commencé à chuchoter à Trudeau que grâce à son succès dans les programmes et accords de garde d’enfants, de soins dentaires et de soins de santé, il devrait considérer ce troisième mandat comme son héritage. Pas exactement du graissage des dérapages, mais certainement une manière élégante de semer l’idée qu’il est peut-être temps pour lui de passer à quelques postes d’administrateur dans le secteur privé.
Les libéraux seront bien servis par une bataille d’idées titanesque pour le leadership entre la très compétente mais résolument de droite Chrystia Freeland et l’exceptionnel Carney. Son manque d’expérience en politique (et dans le Cabinet de Trudeau) pourrait en fait s’avérer être un atout majeur alors que le soi-disant « parti au pouvoir naturel » se prépare à la succession de Trudeau.
Tom Mulcair a été le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada fédéral entre 2012 et 2017