Surprovision : explorer les espaces délibérément inutiles dans la conception résidentielle
La surprovision peut être considérée comme une stratégie architecturale sous l’angle de la résilience, rendant les espaces adaptables aux changements, aux réinterprétations et aux besoins futurs. Cependant, la surprovision pourrait-elle également offrir une perspective productive pour repenser la conception spatiale ? Existe-t-il des parallèles dans la théorie ou la pratique architecturale qui s’alignent sur ce concept, tel qu’exploré par des personnalités notables du discours sur l’espace ?
Cette question devient particulièrement pertinente dans la conception résidentielle, en particulier dans des régions comme Hong Kong ou Tokyo, où la demande d’optimisation de l’espace est une norme culturelle et pratique. Les concepteurs sont souvent chargés de « utiliser chaque centimètre carré » pour le stockage ou la fonction, reflétant la tendance des résidents à accumuler des biens de manière disproportionnée par rapport à leurs espaces de vie.
Celui de Peter Menzel Monde matériel : un portrait de famille mondial illustre de façon frappante ce phénomènecapturant l’abondance des biens qui habitent les petites et grandes maisons du monde entier. Dans ce contexte, comment la surprovision, en particulier l’inclusion délibérée d’espaces « non programmés » ou apparemment sans fonction, pourrait-elle contribuer à l’équilibre et à la convivialité de ces maisons ?
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Espaces, maisons et zones inutiles inutiles
De nombreux propriétaires considèrent leurs espaces de vie comme des machines, interprétant parfois mal le célèbre concept de Le Corbusier, « la maison est une machine à vivre ». Cet état d’esprit tunnel conduit souvent à trop insister sur l’utilité : remplir les coins de la salle de bain d’unités de rangement, convertir les murs du salon en étagères du sol au plafond et transformer chaque petit recoin en espaces fonctionnels comme des dressings. Cette focalisation obsessionnelle sur l’optimisation de chaque centimètre carré peut entraîner des environnements trop encombrés et exigus.
Et si la création délibérée d’espaces « sans fonction », intentionnellement laissés vides ou indéfinis, pouvait jouer un rôle crucial dans l’équilibre de la maison ? De tels espaces peuvent soulager le surmenage et offrir un sentiment d’ouverture, améliorant ainsi l’expérience de vie globale. La peur de « ne rien faire » avec certaines parties de la maison découle souvent de la perception selon laquelle l’espace inutilisé est un investissement inutile. Cependant, cette vision néglige les avantages intangibles du vide. Les espaces ouverts et inoccupés peuvent améliorer la qualité de l’espace, encourager la détente et améliorer l’esthétique d’une maison, offrant finalement plus de satisfaction que de remplir chaque coin de fonctionnalité.
Plutôt que de donner la priorité à l’utilité à tout prix, adopter une surexploitation d’espaces non programmés peut conduire à des maisons plus saines et plus équilibrées. Parfois, la contribution la plus remarquable de l’espace réside dans son potentiel, non pas dans sa fonction immédiate, mais dans sa capacité à offrir un espace de réflexion, d’adaptabilité et de respirabilité dans la vie quotidienne.
Kazuo Shinohara – Espace gaspillé
Le concept de surprovision, en particulier sous la forme d’espace « inutile » ou « inutile », a été un aspect négligé mais convaincant du discours architectural. Kazuo Shinohara, une figure vénérée de l’architecture japonaise moderne, a déclaré : « Une maison est une œuvre d’art. » Au cours d’une conférence à Harvard GSDl’architecte Kazuyo Sejima, lauréate du prix Pritzker, a réfléchi aux idées de Shinohara, en les comparant aux leçons pratiques et axées sur l’efficacité qu’elle a apprises à l’école. Son éducation mettait l’accent sur les circulations courtes, les contiguïtés logiques (par exemple, placer les salles à manger à proximité des cuisines) et l’organisation spatiale pragmatique. Shinohara, cependant, a introduit une perspective totalement différente, celle qui célèbre le muda no kukan (espace gaspillé).
« … J’ai conçu l’idée du gaspillage d’espace comme une notion de base. Je pensais que l’expression du gaspillage d’espace serait possible… à travers le sentiment immanent de vide ou d’espace insuffisant… J’ai obtenu le sentiment de gaspillage d’espace à travers l’extrême simplification des fonctions de l’habitation. – Kazuo Shinohara, 1982 Essais
Shinohara a critiqué l’accent excessif mis par l’architecture sur la fonctionnalité, arguant qu’elle conduit souvent à des conceptions inutilement complexes et encombrées qui s’éloignent de l’essence de la façon dont l’espace devrait servir ses occupants. Au lieu de créer des maisons tentaculaires avec de grands espaces indifférenciés, il a exploré comment des espaces plus petits et simplifiés pouvaient procurer un profond sentiment d’habitation et de réflexion. Ces espaces sans fonction, ni conçus pour l’adaptabilité ni pour une réutilisation pratique, existent uniquement pour enrichir la joie de vivre. Plutôt que de remplir chaque recoin d’objectifs prédéfinis, Shinohara a proposé des espaces qui existent simplement, permettant aux habitants de se déplacer, de faire une pause et de s’arrêter sans que l’utilité ne dicte leur expérience.
En pratique, Shinohara a intégré cette philosophie dans plusieurs projets, dont la House in White (1966), la Uncompleted House (1971) et plus particulièrement la Repeating Crevice House (1971). Dans ce dernier, sa conception d’« espace de fissure » se matérialise à travers la duplication d’escaliers. Ces escaliers redondants, loin de remplir des rôles purement fonctionnels, créaient des tranches verticales et des poches à double hauteur qui semblaient presque inutiles. Leur présence a supprimé la pression de remplir une seule fonction définitive, offrant aux résidents des moments d’équilibre spatial et de sérénité. Ces « épisodes » d’espace pur – ni entièrement fonctionnel ni entièrement artistique – illustraient comment la surprovision pouvait transformer une maison en une œuvre d’art plutôt qu’en une simple machine à vivre.
Le cas de la Case Study House d’Eames et d’autres exemples contemporains
En examinant la conception résidentielle dans différents contextes culturels et temporels, des parallèles inattendus émergent avec le concept d’espace inutile ou inutile de Kazuo Shinohara. L’emblématique Eames House (Case Study House No. 8) offre une comparaison convaincante. Même si elle n’aborde pas explicitement le muda no kukan de Shinohara, la Maison Eames intègre des éléments qui s’alignent sur des principes similaires.
La conception de la maison comprend deux espaces saisissants à double hauteur aux extrémités opposées : l’un fonctionnant comme un salon et l’autre comme un studio. Ces espaces présentent une surabondance délibérée de volume, avec leurs hauts plafonds accentuant la générosité spatiale. La dualité de ces espaces brouille leurs identités : ce qui sert de salon pourrait tout aussi bien fonctionner comme un studio. Cette duplication d’objectif reflète les escaliers redondants de la Repeating Crevice House de Shinohara, où des éléments architecturaux reproduits critiquent leur propre fonctionnalité. L’approche des Eames soulage ces espaces de la pression de servir un objectif unique, leur permettant d’exister en tant que zones indéfinies qui donnent la priorité à l’expérience plutôt qu’à l’utilité.
Dans l’architecture résidentielle contemporaine, le concept de gaspillage d’espace, qu’il soit intentionnel ou accidentel, est devenu plus pertinent. Les paliers d’escalier et les circulations verticales, en particulier, servent de terrain fertile à cette idée, offrant des moments qui s’éloignent de la fonctionnalité par ailleurs implacable d’une maison.
Par exemple, dans la résidence Wang de 2BOOKS DESIGN, le placement délibéré d’un miroir sur le palier supérieur de l’escalier transforme l’espace en un moment de pause. Le miroir reflète les habitants et crée une soudaine discontinuité dans le rythme et le rythme spatial, invitant à la réflexion à la fois métaphorique et littérale. Cette conception réfléchie « inutile » interrompt le flux de mouvement, encourageant les occupants à s’attarder et à découvrir l’espace au-delà de son objectif fonctionnel.
De même, les résidences Paysandú de Bakro-Mayorano exploitent les vides verticaux adjacents aux escaliers pour créer des pauses spatiales dramatiques et intentionnelles. L’espace à double hauteur près des escaliers, laissé libre de meubles ou d’utilisation fonctionnelle manifeste, protège les espaces de vie, de salle à manger et de cuisine densément aménagés. En évitant l’encombrement ou les objectifs prédéfinis, les architectes créent une zone de transition qui améliore l’expérience spatiale globale.
Dans les deux cas, ces surprovisions délibérées agissent comme des fissures dans l’agencement, introduisant des moments de réflexion et de détachement par rapport aux fonctions utilitaires serrées de la maison. De tels espaces inutiles enrichissent l’expérience d’habitation en favorisant un lien émotionnel et sensoriel avec l’architecture.
Les espaces non fonctionnels introduisent un changement d’échelle qui libère les occupants des contraintes des environnements de vie purement fonctionnels. En mettant l’accent sur l’habitation comme un acte expérientiel, les espaces surapprovisionnés et inutiles jouent un rôle crucial dans la création de logements donnant la priorité aux besoins émotionnels et sensoriels des habitants plutôt que de simplement maximiser le stockage ou l’utilité. Ces moments de générosité spatiale enrichissent l’architecture, affirmant que parfois, faire « moins » de l’espace ou gaspiller délibérément peut permettre d’obtenir bien plus.