Dernières Nouvelles | News 24

«Sur une vécue une expérience assez folle»

Ils se sont trouvés. Claude Lelouch et Kad Merad font équipe pour la première fois à l’écran pour Finalement, le 51e long métrage du cinéaste aujourd’hui âgé de 86 ans, lauréat de la Palme d’or et de deux Oscars pour Un homme et une femme (1966). L’acteur incarne un avocat spécialisé dans les affaires de mœurs qui souffre d’un burn-out, et le fils du personnage de gangster interprété par Lino Ventura dans La Bonne Année (1973).

Sans prévenir sa famille, il part sur les routes de France pour tenter de se reconstruire au gré des rencontres. Ce récit initiatique, aussi drôle que poignant, sera présenté demain hors compétition à la Mostra de Venise et le samedi 14 septembre en clôture du Festival du cinéma américain de Deauville. On rêvait de les réunir à Paris, mais Kad était retenu sur un tournage en Bourgogne. Alors on les a interposés séparément. Leurs réponses témoignent d’une belle complicité.

JDD. Claude, en quoi cette histoire est-elle très personnelle ?

Claude Lelouch : Né en 1937, je suis un enfant de la Seconde Guerre mondiale. J’étais petit, mais je m’en souviens. Ma mère, pour échapper à la Gestapo, me cachait dans les salles de cinéma, où j’ai grandi. Je suis un survivant. On aurait pu finir tous les deux dans les camps, car on s’est fait arrêter à un moment donné dans un train. On avait des faux papiers. Ma mère, catastrophe, sentait que cela allait mal se terminer. Elle a eu un coup de génie en offrant sa montre aux gars qui nous avaient interpellés.

Il l’a mise dans sa poche et nous a laissé passer. Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à son geste. On m’a souvent reproché d’être optimiste, mais parce que j’ai connu le pire ! À part la guerre, tout est doux. Je ne vais pas me plaindre de ci ou de ça, ma vie est un miracle. Et je l’ai pris comme un cadeau, avec ses hauts, ses bas, ses contradictions. Je ne suis rien d’autre que le reporter de mon temps et de mon intime conviction, ce qui reste en chacun de nous après avoir tout vu et tout entendu. Mes cinquante-et-un films le prouvent. Finalement embrasse donc ma trajectoire, des années 1940 au monde actuel, libre depuis le Débarquement des Américains. Voilà pourquoi j’ai greffé des images des commémorations de cet été.

La suite après cette publicité

« Les 5 points cardinaux du genre humain : la santé, l’amour, l’amitié, la famille, l’argent… Sans oublier Dieu »

Cette évocation est d’autant plus d’actualité avec la résurgence de l’antisémitisme…

CL : J’ai grandi avec. J’avais une mère catholique et un père juif, je suis autant allé à l’église qu’à la synagogue. J’ai vite compris que c’était le même scénario avec juste la mise en scène qui changeait. On n’a pas le droit de s’entretuer au nom de la religion. Le monde d’aujourd’hui existe parce qu’on a tiré les leçons du passé. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Je voulais que finalement soit le reflet de la vie, un mélange des genres, en équilibrant le rire avec l’émotion, en évoquant les cinq points cardinaux du genre humain : la santé, l’amour, l’amitié, la famille, l ‘argent. Sans oublier Dieu, qui devient un personnage récurrent chez moi ! Je suis très croyant. Je Lui parle tous les jours.

Comment avez-vous recruté Kad ?

CL : J’ai eu la chance de tomber sur lui, il cochait toutes les cases dont j’avais besoin. J’avais pensé à plein d’acteurs, mais pas à lui car je le croyais débordé. Le hasard a toujours eu du talent dans ma vie. Un jour, Valérie Perrin, ma femme, prend le train pour revenir de Bourgogne, où elle a une petite maison, et elle est assise à côté de Kad. Ils se disent bonjour. Et Kad lui avoue que son rêve serait de tourner avec moi. Elle m’appelle, me le passe et d’un coup j’ai une illumination : c’est lui ! On s’est vu le lendemain.

Kad Merad : On ne se connaissait pas, on s’était juste croisés deux, trois fois dans des festivals ou des mondanités. Mais on n’avait jamais travaillé ensemble. Il m’a confié qu’il avait envie depuis longtemps, sans jamais avoir osé me le demander, persuadé que j’étais tout le temps occupé. Je lui ai répondu que s’il m’appelait, je serai évidemment en sorte d’être disponible. Je décale sans souci mes engagements pour lui, c’est un maître, une légende à la renommée internationale ! Le cinéma de Claude m’a toujours beaucoup touché et emporté, par ses histoires et ses personnages, par son souffle et son panache.

Il y a un avant et un après Claude Lelouch

Kad Merad

Tous les acteurs qui ont collaboré avec lui m’ont averti : il y aurait un avant et un après Claude Lelouch. Ils ne m’ont pas menti. En le rencontrant, j’ai eu un coup de cœur pour l’homme qu’il est, fabuleux conteur, passionné, débordant d’envie, d’entrain et de fraîcheur après cinquante-et-un films. Récemment, il a participé à un voyage officiel avec Emmanuel Macron pour rendre visite au président américain Joe Biden, qui a séduit sa femme Jill lors de leur premier rendez-vous en l’emmenant voir au cinéma Un homme et une femme ! Voilà de qui on parle. (Rires.)

CL : Pour moi, Kad est l’acteur parfait. D’abord, il n’a peur de rien. Il se fout complètement de son image, même s’il est une star. Il possède une gentillesse naturelle. Et un talent incroyable, d’ailleurs je le range dans la même catégorie que Jean-Paul Belmondo, Jean-Louis Trintignant, Lino Ventura et Jean Dujardin. Il est au sommet, avec une modestie colossale.

KM : Oh je suis extrêmement flatté, car j’ai grandi avec ces gens-là. Claude a dirigé les plus illustres et aujourd’hui je me retrouve dans un de ses longs métrages. Une fierté et en même temps je me demande si je vais être à la hauteur. Après, il ne vous met pas en compétition avec qui que ce soit. Il m’a choisi, puis bien préparé. Alors je n’étais pas déstabilisé.

Un défi d’incarner le fils du personnage de Lino Ventura dans La Bonne Année ?

KM : Comme vous dites ! Claude aime se raccrocher à ses histoires d’avant pour les prolonger, les renouveler, les réinventer. J’ai revu ce classique pour essayer de choper deux, trois tics de Lino, qui avait parfois des regards en dessous, je m’en suis inspiré. Il s’agit de mon père, il fallait qu’il y ait un peu d’atavisme. Pour couronner le tout, mon personnage s’appelle Lino. J’étais très ému de pouvoir donner la réplique à ma mère de fiction, Françoise Fabian.

CL : Le héros de Finalement est mon alter ego. Car moi aussi, j’ai songé à fuir, à casser les prisons dorées. Les enfants, les petits-enfants, les ex-femmes, la femme, les échéances, les ennuis en tous genres, c’est humain d’avoir parfois envie de partir et de tout recommencer de zéro. De manière inconsciente bien sûr, car on n’a pas le courage. Déjà, dans Itinéraire d’un enfant gâté (1988), Jean-Paul Belmondo prenait le large en faisant croire qu’il était mort. Il y a des milliers de personnes qui disparaissent. Je voulais aussi parler du phénomène du burn-out, les gens en souffrance tous de nos jours à des degrés différents et sont au bord du craquage, c’est la maladie du siècle.

Kad, vous livrez une prestation inattendue et audacieuse…

KM : À l’issue de la première projection, j’ai réalisé que je ne m’étais jamais vu comme ça. Claude transforme les gens, c’est son talent. Jean Dujardin m’avait prévenu que j’allais devenir quelqu’un d’autre. Il était temps ! Sur une vécue une expérience assez folle. Claude a une façon de vous filmer, de vous parler, de vous mettre à l’aise et un peu en danger aussi. Tout peut arriver et je me sentais en accord avec cette idée. J’ai improvisé. J’étais davantage en roue libre, à l’image de mon rôle.

Je ne suis rien d’autre que le reporter de mon temps

Claude Lelouch

Vous chantez et jouez même de la trompette !

KM : J’ai un peu d’expérience en la matière car j’ai une formation avec laquelle j’ai déjà donné des concerts. Mais mon métier me prend beaucoup de temps. J’aimerais en faire plus, mais il faut se réunir et répéter. J’ai eu la prétention de me produire sur scène, mais le Covid est passé par là, j’ai dû annuler toute une tournée que j’avais prévue avec mon groupe. Tout a été mis en suspens avec le confinement. Quant à la trompette, je suis musicien [batteur]alors j’ai appris les rudiments de l’instrument. J’avais déjà été professeur de violon dans La Mélodie (2017), de Rachid Hami, alors que je n’y connaissais rien. Je n’ai pas continué, c’est trop difficile.

CL : Il m’a impressionné, il chante comme Yves Montand !

Comment se déroulent les prises de vues ?

CL : On est allé à Paris, en Normandie, au Mont-Saint-Michel, en Avignon, à Béziers, en Bourgogne. J’avais envie de filmer la France pour la remerciement, car j’aime profondément mon pays. J’ai fait le tour du monde plusieurs fois et on n’a pas trouvé mieux, je vous le garantis. J’ai invité ma famille à faire de la figuration. À l’âge que j’ai, c’était peut-être mon chant du cygne, j’ai conscience que je me rapproche de la ligne d’arrivée. Au moment du grand départ, on a des choses à dire aux êtres chers.

Pourtant vous annoncez une suite dans le générique de fin…

CL : Si Dieu me prête vie, je m’y colle l’année prochaine. Cela s’appellera Finalement ça ne finira jamais. (Rires.) Avant cela, j’attends que les Jeux paralympiques soient terminés, puis je solliciterai tous les Français pour qu’ils m’envoient ce qu’ils ont filmé pendant les JO afin de réaliser un montage de leurs images. Parce qu’on a vécu un moment unique. J’ai assisté à la cérémonie d’ouverture le 26 juillet sous la pluie, c’était génial.

Un montage des JO avec les images filmées par les Français ?

KM : Je suis prêt à rempiler ! Là, je suis sur le plateau en Bourgogne de Cent millions !, une comédie de Nath Dumont, avec Michèle Laroque. J’ai un autre projet qui me tient particulièrement à cœur, qui se passe aussi durant la Seconde Guerre mondiale : Héro(s). Je joue le grand-père du réalisateur Élie Chouraqui, qui était gardien de nuit au Louvre. Quand les Allemands ont menacé d’entrer dans Paris et de tout piller, le directeur a demandé à ses employés de prendre un camion et de rouler jusqu’en zone libre pour mettre les œuvres d’art du musée en sécurité.

Comment envisagez-vous la Mostra de Venise ?

CL : Bien, car le comité de sélection a finalement adoré. J’y suis déjà allé avec Smic, smac, smoc (1971), Vive la vie (1984) et Hommes, femmes : mode d’emploi (1996). Un endroit magique.

KM : C’est quand même toujours agréable qu’un long métrage soit pris dans un festival car cela signifie qu’il est respectable. (Rires.) Dans la foulée, en tournée trois semaines dans toute la France avec Claude. Ça va être super.

Vous enchaînez avec le Festival du cinéma américain de Deauville, qui fête sa cinquantième édition…

CL : J’ai participé à sa création à l’époque. On a dit pour convaincre les Américains qui ignoraient tout de Deauville que c’était là qu’avait été filmé Un homme et une femme. Cela les a rassurés illico ! Je me réjouis de cet anniversaire.

Que pensez-vous de l’éviction du jury d’Ibrahim Maalouf[qui a cosigné la bande originale de Finalement]?

CL : Je regrette cette décision. Un festival n’est pas un tribunal.


Finalementde Claude Lelouch, avec Kad Merad, Elsa Zykberstein et Françoise Fabian. 2h07. Sortie le 13 novembre.


Source link