Une voix longtemps silencieuse d’un passé lointain – étrange et réverbérante – se réveille dans les chambres antiseptiques et climatisées d’un musée parisien. Le forum par lequel cette entité communique avec nous est le « Dahomey » de Mati Diop. La cinéaste franco-sénégalaise revient avec une exploration riche et captivante du spectre du colonialisme qui poursuit la qualité captivante et surnaturelle de son film révolutionnaire de 2019, « Atlantics ».
« Dahomey », un documentaire formellement inventif, retrace le voyage à travers les continents de 26 œuvres d’art pillées dans le royaume ouest-africain du Dahomey qui, en 2021, ont été restituées à la nation moderne du Bénin (également berceau du vaudou). Cette collection rapatriée ne représente qu’une infime fraction des 7 000 pièces pillées par les Français dans leur ancienne colonie – et ce chiffre ne s’applique qu’à ce qu’ils ont pris dans cet endroit parmi tant d’autres.
La voix émane de l’artefact intitulé « 26 », une statue du roi Ghézo du Dahomey. Dans un son empilé de plusieurs voix parlant en même temps, la statue exprime ses griefs dans sa langue maternelle Fon (également connue sous le nom de Dahoméen). Les réflexions poétiques sur l’emprisonnement dans un pays étranger et le désir d’un foyer qui n’existe peut-être plus sont soutenues par la partition de synthétiseur envoûtante de Wally Badarou et Dean Blunt. Leurs compositions séduisantes ressemblent sonorement à la merveille de la découverte avec un soupçon d’appréhension face à l’inconnu.
Les autres artefacts comprennent une sculpture du roi héroïque Béhanzin (qui, selon un jeune homme, aurait dû avoir son propre film d’animation pour les enfants béninois), une autre du roi Glele et un asen ou sinukaun objet orné créé pour commémorer les morts.
En seulement 68 minutes, « Dahomey » regorge de perspectives sur ce que symbolise la restitution de ces trésors antiques et les implications politiques risquées qui l’entourent. Pour le gouvernement béninois, c’est une victoire qu’il peut colporter pour gagner la faveur du peuple, tandis que la France peut l’exploiter comme une tactique de valorisation de son image qui s’accompagne d’un paternalisme tacite. Le nombre insultant de pièces que les Français sont prêts à lâcher implique qu’ils testent si le Bénin peut assurer leur sécurité. Même ce processus se déroule selon les conditions du colonisateur.
Le cas du Bénin est loin d’être unique. La coiffe à plumes portée autrefois par l’empereur aztèque Moctezuma II réside à Vienne. Le Mexique a exigé sa restitution, mais le gouvernement autrichien a refusé, invoquant les éventuels dommages que la pièce pourrait subir pendant le transport.
De retour chez lui, dans la ville d’Abomey, un expert évalue l’état des objets et leur signification. L’un d’eux, un trône finement sculpté, exprime la pratique expansionniste du Royaume du Dahomey consistant à asservir les ennemis capturés. Pour illustrer le brio sans prétention avec lequel Diop et l’éditeur Gabriel Gonzalez assemblent les images et les sons du « Dahomey », ils passent de cette représentation de l’ancienne servitude aux jeunes ouvriers du bâtiment qui préparent péniblement le musée local pour la visite des diplomates.
Ces hommes pourront-ils profiter de l’exposition ou une expérience culturellement enrichissante leur est-elle refusée en raison de leur manque de moyens financiers ? Et si c’est le dernier cas, alors à qui s’adresse-t-il ? Diop exploite avec perspicacité le sens des images : dans les premiers instants du film, nous voyons des répliques colorées de la Tour Eiffel vendues de manière informelle près des rives de la Seine, vraisemblablement par des immigrants (africains et autres) gagnant leur vie dans la capitale française. Ces effigies modernes de la production de masse et de la surconsommation portent leur propre histoire, acquise à la fois auprès du vendeur dans le besoin et du touriste qui les achète.
Le « Dahomey » est à son paroxysme de confrontation lorsque Diop inclut des images d’une table ronde au cours de laquelle les étudiants discutent des problèmes en question. Certains disent qu’en s’emparant de ce matériel, les Français ont pillé quelque chose d’intangible : la chance du peuple béninois de se voir dans un contexte historique plus large et pas seulement à travers le regard des bourreaux blancs. D’autres soutiennent que la restitution ne doit pas être perçue avec un nationalisme aveugle mais avec scepticisme, car après l’ouverture officielle de l’exposition, peu de choses auront changé pour les individus ordinaires qui luttent pour survivre.
Ces échanges houleux remettent même en question l’idée même des musées en tant qu’institutions occidentales imposées comme seule voie de préservation et d’engagement significatif avec le passé. Les concepts philosophiques utilisés pour aborder ces sujets ont été implicitement déterminés par le colonisateur à travers l’exaltation de certains penseurs et l’obscurcissement d’autres. Même la langue qu’ils utilisent pour les dénoncer, le français, est une langue étrangère et non endémique au Dahomey.
Mais si ces objets d’art portent le poids de siècles de défaites et de conquêtes, ils ne peuvent à eux seuls engendrer une identité culturelle. Ce ne sont que de précieux souvenirs. Ce sont les peuples vivants de la terre et leur autodétermination qui expriment une histoire en perpétuelle transition, attendant d’être écrite, conçue, parlée et vécue ici et maintenant.
« Dahomey »
Non noté
En français, fon et anglais, sous-titré en anglais
Durée de fonctionnement : 1 heure, 8 minutes
Jouant: Ouverture le 1er novembre à Laemmle Royal, West Los Angeles