PARIS – Dans son premier prix depuis qu’un scandale de pédophilie a révélé une collusion profondément enracinée dans ses rangs, l’un des meilleurs jurys littéraires français a évité lundi l’apparition de conflits d’intérêts potentiels en couronnant le roman d’une auteure peu connue d’un petit maison d’édition.
Les juges du Renaudot ont décerné le prix du meilleur roman à Marie-Hélène Lafon, un étranger des cercles littéraires clubby de France. Son livre, «Histoire du fils», a été publié par Buchet-Chastel, entreprise avec un catalogue annuel d’une cinquantaine d’œuvres et lauréate pour la première fois d’un grand prix.
Le jury du Renaudot fait l’objet d’un examen minutieux depuis que les membres ont reconnu avoir récompensé l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff dans la catégorie essai en 2013 pour l’aider à relancer sa carrière et lui remonter le moral. Sa résistance farouche au changement en est venue à incarner l’emprise serrée d’une élite établie sur les institutions littéraires françaises.
Cette année, comme beaucoup avant elle, la liste restreinte du prix était composée d’initiés littéraires dont les romans étaient publiés par des sociétés de premier plan et dont les liens avec plusieurs jurés étaient largement connus. Le choix de Mme Lafon était donc sûr pour un jury se ceignant de critiques.
«Je suis consciente qu’il y a des enjeux éthiques derrière tout cela », a déclaré Mme Lafon après l’annonce du prix sur Zoom en raison des restrictions relatives aux coronavirus. «La situation est périlleuse. Nous marchons sur une corde raide. »
Mais le choix du roman de Mme Lafon a été applaudi comme une reconnaissance de la qualité littéraire par les experts et les amateurs de littérature sur les réseaux sociaux. La saga s’étend sur un siècle et se penche sur un secret de famille que le personnage principal tente de démêler en reconstruisant la généalogie de sa famille.
Le roman est «une belle œuvre» d’un écrivain dont le milieu rural a longtemps inspiré ses livres, a déclaré Marie-Rose Guarnieri, libraire et critique des principaux jurys littéraires français, auxquels les jurés servent habituellement à vie. Il y a vingt ans, Mme Guarnieri a créé le Wepler, un prix littéraire avec un jury qui change chaque année.
Mais Mme Guarnier a déclaré qu’elle ne croyait pas que ce choix reflétait un changement profond dans la perspective des Renaudot. Au fil des ans, le jury a tenté de détourner les critiques occasionnelles en récompensant un auteur inconnu d’un petit éditeur, a-t-elle déclaré.
«Quand ils commencent à réaliser que nous pouvons voir comment ils fonctionnent», a déclaré Mme Guarnieri, «et surtout les grands conflits d’intérêts qui découlent de cette façon de sélectionner les livres, ils font un grand saut dans l’autre sens. »