Pourquoi la Mongolie n’a-t-elle pas arrêté Vladimir Poutine lors de sa visite ?
Non seulement le président russe n’a pas été arrêté lors de sa visite officielle qui s’est terminée mardi, mais le gouvernement de Mongolie lui a même déroulé le tapis rouge.
Avant cette visite, l’Ukraine avait pourtant exhorté la Mongolie à remettre Vladimir Poutine à la Cour de La Haye.
La Mongolie est ainsi devenue le premier pays membre de la Cour pénale internationale (CPI) à recevoir Vladimir Poutine même s’il est visé par un mandat d’arrêt de cette instance.
C’est un défi à l’ensemble de la communauté internationale [que lance Vladimir Poutine en se rendant dans la capitale mongole]analysé à la chaîne de télévision France 24, Emmanuel Daoud, avocat à Paris et à la IPC. C’est un pied de nez. C’est un bras d’honneur même.
Le Kremlin assure déjà la semaine dernière que le président russe ne serait pas embêté à Oulan-Bator en avant. l’excellent dialogue avec nos partenaires mongols
et en assurant que tout a été soigneusement préparé
.
Soigneusement préparé à un point tel que Vladimir Poutine a été reçu avec tous les honneurs par le président de la Mongolie, Ukhnaagiin Khurelsukh, lors de sa visite officielle de deux jours.
La Mongolie est membre de la IPC. Elle est donc tenue de respecter le mandat d’arrêt délivré en mars 2023. Des médias mongols faisaient cependant remarquer qu’il existe des exceptions, comme les cas où une arrestation violerait l’immunité diplomatique. La visite de Vladimir Poutine pourrait, selon eux, entrer dans ces exceptions.
Selon les médias locaux, les présidents russe et mongol ont discuté d’une coopération renforcée dans des domaines tels que l’énergie, les transports et l’environnement, y compris l’expansion d’une centrale électrique.
Les projets incluent également la construction d’un gazoduc traversant la Mongolie afin de transporter le gaz naturel de la Russie vers la Chine.
Poutine a également assisté à une cérémonie célébrant le 85e anniversaire de la victoire de la Mongolie et de l’ex-Union soviétique sur le Japon impérial lors de la Seconde Guerre mondiale. Il s’est également rendu en Mongolie pour les anniversaires marquant les 75e et 80e anniversaires.
La Mongolie continue de devoir composer avec deux voisins dominants (la Chine et la Russie), et ce sont les seuls voisins qu’elle a. Si ce voisin du nord dit : « Je veux exhiber mon immunité face au reste du monde et défier la IPCet vous allez m’accueillir. » Il y a peu de choses que la Mongolie peut faire pour s’y opposer
soutient Julian Dierkes, professeur associé au programme sur l’Asie intérieure de l’Université de Colombie-Britannique.
Dépendance à la Russie et à la Chine
La Mongolie, vaste pays riche en ressources naturelles avec une population à peine 3,5 millions de résidents, dépend de la Russie pour ses approvisionnements en énergie et autres denrées. Les importations en Mongolie de pétrole, fer et blé russes ont totalisé 1,81 milliard de dollars américains en 2021.
Environ 26 % de toutes les importations en Mongolie provenaient de la Russie l’an dernier et 41 % de la Chine, ses deux seuls pays voisins.
De plus, 93 % des exportations de Mongolie vont en Chine. Les exportations de charbon, de minéraux de fer et de cuivre ont dépassé les 7,5 milliards de dollars en 2021. En raison de l’importance de cette dépendance économique, la Chine et la Russie peuvent exercer d’intenses pressions sur la Mongolie.
Le président russe Vladimir Poutine accompagné du ministre des Affaires étrangères de la Mongolie Battsetseg Batmunkh.
Photo : Getty Images / Natalia Gubernatorova
Les symboles de l’URSS sont d’ailleurs présents un peu partout en Mongolie. Un grand monument situé sur une colline surplombant Oulan-Bator, la capitale de Mongolie, a été établi pour souligner l’amitié de longue date entre Soviétiques et Mongols.
Nous sommes coincés entre deux grandes puissances, affirmait cette semaine une source gouvernementale mongole citée par Nikkei Asia. Si nous n’avons pas de bonnes relations avec la Chine et avec la Russie, nous ne pourrons pas survivre.
Partenariat stratégique possible avec l’Occident ?
Le pays des steppes et de paysages désertiques est de plus en plus courtisé par les puissances occidentales qui souhaitent avoir accès à son sous-sol et aussi faire contrepoids à l’axe Chine-Russie.
La Mongolie veut conclure des ententes commerciales permettant d’exploiter son cuivre et ses métaux rares. Les États-Unis aimeraient devenir le troisième voisin
du pays.
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, s’est rendu dans la capitale mongole le mois dernier après la conclusion d’un accord de partenariat et de dialogue entre les deux pays.
Les présidents français et allemand se sont également rendus en Mongolie l’an dernier et le premier ministre japonais devait s’y récemment déplacer, mais a finalement dû annuler sa visite en raison d’un avertissement de tremblement de terre dans son pays.
Si Oulan-Bator veut renforcer ses liens avec l’Occident, elle semble aussi complice de l’agression russe en Ukraine qu’elle n’a jamais condamnée. La Mongolie s’est également abstenue de tout vote sur la question aux Nations unies.
La plupart des forces d’opposition sont attachées à la démocratie et aux droits de la personne. Elles se sont opposées à la Russie et ont évoqué l’invasion de l’Ukraine, tandis que le gouvernement, le Parti du peuple mongol, à la fois des liens historiques avec l’Union soviétique puis avec la Russie, mais doit aussi faire face à la réalité d’être au pouvoir et de gérer une situation géopolitique qui contraint fortement ses options
explique le professeur associé Julian Dierkes.
Selon les analystes, la Mongolie ne devrait pas faire l’objet de sanctions internationales pour avoir failli à ses obligations de pays membre de la IPC en n’arrêtant pas Vladimir Poutine.
La visite du président russe rappelle à quel point la Mongolie est cependant dans une position impossible, prise en étau entre deux autocrates géants.