Patrick Modiano dit que les bons livres font les bonnes personnes

Il y a des tas de livres que je lis souvent, des classiques. Mais veuillez m’excuser, je suis en train d’écrire un livre et je ne peux que vous donner de brèves réponses.

Non. Un grand livre doit avoir un style inoubliable, une musique inoubliable.

Il y a beaucoup de. Parmi eux : Stendhal, Dickens, Balzac, Tolstoï, Tchekhov, Melville — tous les grands écrivains du XIXe siècle. A ceux-ci, j’ajouterais ceux du 18e : l’abbé Prévost, Restif de la Bretonne, les mémoires du duc de Saint-Simon, etc.

Depuis l’âge de 16 ans, j’admire Ernest Hemingway, Carson McCullers, Cesare Pavese, Malcolm Lowry et un poète, WB Yeats. Aussi, « The Magic Mountain », de Thomas Mann.

Il y avait un jeune écrivain que j’ai rencontré et admiré : Tristan Egolf. À mon avis, il était l’un des plus grands de sa génération. Je suis entré dans sa chambre un soir, durant l’hiver 1995. Sur la table, une pile de papiers. Il y avait d’innombrables corrections, avec des mots trop rapprochés. J’ai pensé à l’écriture microscopique d’un autre écrivain que j’aimais, Robert Walser. Il y avait plus de 400 pages — c’était son premier roman. Ma femme a lu le manuscrit avant moi et a confirmé mon intuition. J’ai senti que ce jeune homme de 23 ans pourrait appartenir à des Walser, ceux qui font danser la prose comme de petites ballerines, qui, selon les mots de Walser, « dansent jusqu’à ce qu’ils soient totalement épuisés et s’effondrent ». Je suis certain que Tristan Egolf trouvera sa place parmi les grands de la littérature américaine, comme un météore de sa génération.

Je n’ai jamais compris ce que l’on entend par « autofiction ». Il me semble que tous les écrivains, qu’ils soient romanciers ou poètes, s’inspirent de tout ce qu’ils ont vécu et observé avant de transposer et de styliser cette matière.

La plupart des romanciers sont des écrivains de mémoire, par opposition aux journalistes, prisonniers du présent immédiat. Même si un romancier écrit un livre inspiré par le présent immédiat, ce présent est projeté dans une autre dimension, celle de la littérature, et non plus celle du journalisme. Pour donner un exemple, « Pour qui sonne le glas » d’Hemingway, écrit sur la guerre d’Espagne au moment même où la guerre se déroulait.

Et la réalité, une fois reconsidérée et rêvée dans la mémoire de l’auteur, acquiert un pouvoir d’attraction supplémentaire, un écho, une résonance particulière qu’elle n’avait pas au départ. Et cela accentue l’envoûtement que le romancier jette sur son lecteur.

Pour la France, je ne sais pas. Mais à propos de Paris, je recommanderais un livre américain : « A Moveable Feast », par Ernest Hemingway.

Ramuz, écrivain suisse romand, qui est probablement le plus grand écrivain de prose et de style français du XXe siècle. André Dhôtel, auteur de plus de 30 romans dans le genre de ce qu’on pourrait appeler le réalisme magique. Gaston Bachelard est aussi un maître de la prose poétique.

Le style. La musique. Ce qui m’émeut le plus dans un livre, c’est d’entendre la même voix me parler du début à la fin.

Ceux qui me touchent émotionnellement.

Malheureusement, il faudrait beaucoup de monde pour organiser ma bibliothèque. Il faudrait produire un système de classement sur fiches où le nom des auteurs et les titres de leurs livres apparaîtraient par ordre alphabétique. Principalement, cela indiquerait l’emplacement exact de chaque livre, car je passe souvent des heures, voire des jours, des semaines et des mois, à chercher un livre, et parfois je ne le trouve jamais. Mes livres sont en deux rangées sur les étagères, la première rangée cachant la seconde. D’autres livres s’entassent dans des placards et des caisses, et encore plus dans des meubles de rangement.

À un moment donné, j’ai dû me débarrasser d’environ 5 000 livres, car il n’y avait plus de place pour les conserver. J’aurais dû faire une liste de ces 5 000 livres, car je ne me souviens plus de leurs titres. Souvent, j’en cherche un sans me rendre compte que je ne l’ai plus.

Des tas d’annuaires téléphoniques de tous types : de Paris de 1835 aux années 1970, de Londres et de Berlin, des annuaires téléphoniques commerciaux des années 30, des villes d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique, d’Australie et des îles du Pacifique, des registres sociaux, des annuaires de cinémas, de théâtres, de salles de danse et de musique, etc., dans lesquels figurent les adresses de centaines de milliers de personnes disparues.

Depuis de nombreuses années, ma femme m’offre un exemplaire du livre « Manon Lescaut », de l’abbé Prévost, pour mon anniversaire, à chaque fois dans une édition différente.

Beaucoup de gens de ma génération lisaient beaucoup dans leur enfance (pas de télé, pas d’internet). J’ai adoré « L’île au trésor » de Robert Louis Stevenson, Mark Twain, Hans Christian Andersen, « Le Prisonnier de Zenda » d’Anthony Hope, « Le Pimpernel écarlate » de la baronne Orczy, « Les Contes du Chat Perché » de Marcel Aymé et « Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas. .”

Un livre qui vous émeut ou vous émeut profondément fait de vous une personne plus sensible, et donc meilleure. C’est sa fonction morale.

Je ne sais pas si on pourrait organiser une « fête » littéraire invitant 20 écrivains comme on organiserait une réunion des membres du club. J’ai bien peur que ces écrivains, à moins d’être déjà amis, n’aient pas grand-chose à se dire. James Joyce et Marcel Proust se sont rencontrés une fois alors qu’ils étaient invités à une fête à Paris. Ce serait leur seul échange :

« Il pleut. »

« Avez vous un parapluie? »

« Non. »

« Moi non plus. »

—Traduit du français par Pauline Cochran