Paris Photo 2024 : Voix
Cette année, Paris Photo lance le secteur Voices, qui met en lumière une sélection d’artistes ou de galeries à travers le regard d’un commissaire invité. Trois commissaires ont été invités à concevoir une proposition basée sur un thème de leur choix : Elena Navarro, fondatrice de FotoMexico, a créé un projet axé sur la photographie latino-américaine ; Azu Nwagbogu, fondateur et président du Lagos Photo Festival, explore la façon dont les artistes se réapproprient les archives ; tandis que l’auteure et commissaire indépendante Sonia Voss examine la chambre à coucher comme plate-forme d’expression à travers le prisme des scènes d’Europe de l’Est et du Nord après la guerre froide. L’Œil de la Photographie a rencontré Voss.
Votre proposition est intitulée Quatre murs. Quels sont ses thèmes ?
Depuis un certain temps, je m’intéresse à la façon dont les systèmes coercitifs de l’Europe de l’Est et du Nord dans les années 1970 et 1980 ont conduit les artistes à développer des stratégies très centrées sur l’intimité et l’espace domestique. Ces espaces souvent confinés ont été transformés en véritables lieux de création grâce à la liberté intérieure et à l’imagination des artistes. Je trouve cela incroyablement puissant et frappant encore aujourd’hui, avec des interprétations diverses d’un pays à l’autre. Nous avons travaillé avec les galeries participantes pour mettre en lumière certaines figures encore peu connues du grand public, qui représentent ces formes de création singulières et ces stratégies propres à ces régions. De plus, nous ne voulions pas confiner ces perspectives historiques au passé mais plutôt montrer comment elles continuent d’influencer la création contemporaine, construisant des ponts entre passé et présent.
Quels pays sont représentés ?
Il y a d’abord l’Ukraine, représentée par la galerie Alexandra de Viveiros, qui défend avec passion depuis plusieurs années l’école de Kharkiv. La galerie Anca Poterasu représente la Roumanie, avec la photographe Aurora Király et le collectif de films expérimentaux kinema ikon, actif depuis les années 1970. La République tchèque est représentée par Fotograf Contemporary, mettant en vedette deux femmes, Libuše Jarcovjáková et Markéta Othová. La galerie Monopol associe l’artiste polonais Zygmunt Rytka à l’artiste est-allemande Gabriele Stötzer. Enfin, Kaunas Photography présente plusieurs photographes lituaniens. Ces trois dernières galeries participent pour la première fois à Paris Photo. L’un des objectifs de Voices est en effet d’ouvrir les portes à de nouveaux joueurs.
Tous ces artistes emploient des stratégies visuelles qui subvertissent les systèmes coercitifs dans lesquels ils ont émergé. Dans votre texte d’introduction, vous évoquez « la souveraineté de leur corps, de leur imagination et, souvent, de leur humour » comme moyens de faire face aux restrictions à la liberté. Cela inclut la mise en scène, les jeux de composition, l’intervention en image et la transcendance du quotidien. Ces stratégies sont-elles communes à tous ces pays ?
Plus nous explorons les photographies de ces pays, moins nous souhaitons les regrouper sous une seule étiquette. Chaque pays a une histoire différente, comprenant des événements historiques différents et des liens avec l’histoire de la photographie. En Allemagne de l’Est, les artistes d’avant-garde sont partis dans les années 1930 et la photographie s’est développée sans ce fondement avant-gardiste. En revanche, en République tchèque ou en Pologne, l’avant-garde est restée forte tout au long du XXe siècle. En revanche, certains pays, comme la Lituanie, ont été plus profondément influencés par les traditions documentaires humanistes. Il existe donc certainement des points communs liés aux expériences humaines partagées dans le « bloc de l’Est », mais aussi des traditions visuelles distinctes, propres à chaque pays.
Comment voyez-vous la position de la photographie d’Europe de l’Est et du Nord sur le marché international ?
Ces dernières années, j’ai remarqué une présence croissante de galeries de ces régions. Les institutions, en particulier, s’intéressent de plus en plus à ces pays. Le Centre Pompidou, par exemple, a fait de gros efforts pour intégrer ces pays dans ses collections. Les collections américaines portent également une attention particulière à ces chapitres de l’histoire de la photographie.
Pourriez-vous présenter certaines des œuvres de l’exposition ?
Un exemple est Roman Pyatkovka, représenté par Alexandra de Viveiros. Son travail illustre magnifiquement comment ces artistes ont transformé leur espace intime – leur « maison » – en un terrain de jeu expérimental, un laboratoire. Piatkovka a créé des photographies expérimentales de corps nus – interdites à l’époque – sur lesquelles il a projeté des images de défilés officiels soviétiques. Depuis sa chambre, il a construit un monde à plusieurs niveaux, combinant une expérimentation formelle audacieuse avec une critique ouverte du régime. Un autre exemple marquant est le travail de Libuše Jarcovjáková, que certains ont peut-être découvert aux Rencontres d’Arles en 2019. Elle a longtemps vécu et travaillé en marge de la société tchèque. Pour elle, l’espace domestique, lieu de retraite, devient un théâtre de l’intimité où elle se met en scène avec ses amis dans la simplicité et l’exubérance de sa vie privée.
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