Lutte contre l’islamophobie | Amira Elghawaby rappelée à l’ordre par la commissaire à l’information
(Ottawa) La représentante spéciale du Canada dans la lutte contre l’islamophobie, Amira Elghawaby, devra fournir environ 3000 pages de documents à La Presse. Le commissaire à l’information du pays a récemment émis une ordonnance pour forcer le ministère du Patrimoine canadien, dont relève Mmoi Elghawaby, à répondre à une demande d’accès à l’information qu’il avait choisi d’ignorer.
Ce qu’il faut savoir
La représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie, Amira Elghawaby, devra fournir environ 3000 pages de courriels et de documents à La Presse en vertu d’une demande d’accès à l’information.
La commissaire à l’information du Canada a ordonné au ministère du Patrimoine canadien, dont relève Amira Elghawaby, de répondre à cette demande qu’il avait choisi d’ignorer.
L’Assemblée nationale a récemment réclamé la démission d’Amira Elghawaby après qu’elle eut recommandé d’augmenter la représentation des professeurs d’université musulmans.
La commissaire, Caroline Maynard, reconnaît que la plainte de La Presse est fondé, conclut que le Ministère « doit répondre à la demande d’accès sans tarder » et ordonne à la ministre de la Diversité, de l’Inclusion et des Personnes en situation de handicap, Kamal Khera, « de fournir une réponse complète à la demande d’accès au plus tard le 36et jour ouvrable » après la réception de son rapport. Ce ministère fait partie du Patrimoine canadien.
La Presse avait demandé d’obtenir les courriels de la représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie dans les semaines suivantes son arrivée en poste, mais Patrimoine canadien n’y avait tout simplement pas répondu. Il aurait dû y donner suite dans les 30 jours ou demander un délai au besoin en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.
L’enquête a révélé un volume d’environ 3000 pages de courriels et d’autres documents répondant à la demande d’accès.
Caroline Maynard, commissaire à l’information du Canada
Patrimoine canadien les a seulement rassemblés et fournis au Bureau d’accès à l’information, qui traitait la demande en juin 2024, soit après la plainte de La Presse auprès du commissaire à l’information. Le Ministère a indiqué à Mmoi Maynard qu’il a répondu à la demande d’accès en octobre 2024, « mais n’a pas fourni de date précise », note-t-elle.
Controverses
La nomination de Mmoi Elghawaby avait soulevé une vive controverse lorsqu’elle avait été annoncée en janvier 2023 en raison de ses prises de position passées. Elle avait notamment écrit, dans une chronique publiée dans le Le citoyen d’Ottawa, que la majorité des Québécois semblent «influences par un sentiment antimusulman» dans la foulée de l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État. Elle s’était ensuite excusée de les avoir offensés quelques semaines avant d’entamer son mandat. Québec avait tout de même demandé sa démission.
L’Assemblée nationale a réitéré cette demande à l’unanimité la semaine dernière après une nouvelle controverse. Dans une lettre destinée aux cégeps et universités du pays, Mmoi Elghawaby a recommandé d’« accroître la représentation des professeurs musulmans, palestiniens et arabes » pour faire face aux répercussions du conflit israélo-palestinien sur les campus.
Le premier ministre François Legault avait qualifié cette suggestion de « totalement inacceptable », déplorant à la fois une intrusion dans un champ de compétence provinciale et le fait de vouloir favoriser un groupe religieux dans une province laïque.
À Ottawa, le Bloc québécois a demandé à plusieurs reprises d’abolir le poste de représentante spéciale du Canada dans la lutte contre l’islamophobie. Le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) estime plutôt qu’il est nécessaire.
Le porte-parole bloquiste en matière de laïcité n’a pas manqué de rappeler que Pablo Rodriguez, ex-lieutenant du Québec pour le gouvernement de Justin Trudeau et nouveau candidat dans la course à la direction du Parti libéral du Québec, aurait voté pour la motion de l’Assemblée nationale, comme il l’a affirmé lui-même- jeudi.
Il y en a combien d’autres, des libéraux québécois, qui veulent que Mmoi Elghawaby parte, mais qui n’ont pas le courage du dire ?
Martin Champoux, député du Bloc québécois, lors de la période des questions lundi
« Nous savons que partout ailleurs au Canada, y compris au Québec, la diversité fait aussi la force de nos universités », a répliqué le ministre Jean-Yves Duclos, nouveau lieutenant du Québec pour le gouvernement Trudeau.
« Réaction hypocrite »
« La réaction de plusieurs dans la classe politique et médiatique a été à la fois hypocrite et grandement exagérée », croit le président-directeur général du CNMC, Stephen Brown. Hypocrite parce que certains ont d’énoncé sa suggestion d’accorder « un traitement différencié sur la base de la religion », alors qu’ils n’ont « aucun problème avec le traitement différencié des individus sur la base de la religion tant et aussi longtemps qu ‘il s’agit de leur retirer des opportunités d’emploi plutôt que de leur en donner », at-il dit.
À son avis, le poste occupé par Amira Elghawaby est nécessaire pour « éclairer les élus sur les enjeux qui viennent chercher la communauté musulmane ». Il s’agit d’ailleurs d’une des recommandations du Sommet national sur l’islamophobie tenu en 2021, qui a fait suite à plusieurs événements violents à l’endroit des musulmans au Canada, dont l’attentat de la grande mosquée de Québec en 2017.
« C’est une période difficile pour de nombreuses communautés. La représentante spéciale joue un rôle crucial dans la lutte contre l’islamophobie à travers le pays, en travaillant avec les communautés musulmanes touchées par la montée de la haine au Canada », a indiqué Alison Lévesque, directrice des communications de la ministre Kamal Khera, dans une déclaration écrite.
Elle a accusé au passage le chef conservateur, Pierre Poilievre, de rencontrer « des groupes d’extrême droite ». Elle n’a pas commenté l’ordonnance pour forcer Mmoi Elghawaby à divulguer ses courriels.
Au moment d’écrire ces lignes, le ministère du Patrimoine canadien n’avait pas répondu à nos questions.
C’est la quatrième ordonnance émise par le commissaire à l’information à l’endroit du Ministère depuis 2019, année où elle a obtenu ce nouveau pouvoir.
Avec la collaboration de William Leclerc, de Megan Foy et de Mélanie Marquis, La Presse