Une étude de suivi oculaire réalisée en Suisse a révélé que les adultes font 2,5 fois plus de fixations (concentrant leurs yeux sur un seul point) lorsqu’ils lisent des chiffres courts que des mots courts. Pour les nombres longs et les mots longs, le nombre de fixations était sept fois plus élevé lors de la lecture des nombres. Les résultats ont été publiés dans Acta Psychologique.
La lecture est une compétence dont tout le monde a besoin et qu’elle utilise fréquemment dans la vie quotidienne. Cela inclut la lecture de mots et de phrases, ainsi que de chiffres. La lecture des nombres est également couramment évaluée dans des tests conçus pour mesurer les capacités mathématiques.
Cependant, lire des chiffres est fondamentalement différent de lire des mots. Ces deux activités engagent des processus cognitifs différents en raison de la nature distincte du langage et des symboles numériques. La lecture de mots repose principalement sur les régions du cerveau basées sur le langage, principalement dans l’hémisphère gauche, où les mots familiers sont reconnus et décodés à l’aide d’indices phonétiques et sémantiques. En revanche, la lecture des nombres implique des régions cérébrales supplémentaires ou distinctes, notamment celles associées à la cognition numérique et au traitement des quantités.
Les nombres sont généralement interprétés sur la base d’une valeur symbolique plutôt que phonétique. Cela oblige les lecteurs à reconnaître les relations numériques et les quantités. Des études suggèrent que la lecture de chiffres peut être plus éprouvante pour le cerveau, en particulier lorsqu’il s’agit de séquences plus grandes ou plus complexes, car cela nécessite une plus grande mémoire de travail et une plus grande attention aux détails.
L’auteure de l’étude, Anne-Françoise de Chambrier, et ses collègues ont étudié les mouvements oculaires d’adultes capables de lire normalement lors de la lecture de chiffres arabes courts et longs (c’est-à-dire des chiffres). Ils ont comparé cela à la lecture de mots et de pseudo-mots de longueur égale. Les pseudo-mots sont des chaînes de lettres qui suivent la structure et les règles phonétiques d’une langue donnée, mais qui n’ont aucune signification réelle.
L’étude a porté sur 36 étudiants en psychologie de l’Université de Lausanne en Suisse, dont 27 femmes. Leur âge moyen était de 21 ans. Tous les participants étaient de langue maternelle française et avaient une vision normale ou corrigée. Ils ont reçu un crédit de cours et 15 CHF (environ 17 $) pour leur participation.
Les participants ont été invités à lire un total de 96 éléments en une seule séance d’une durée d’environ 10 minutes. Ces éléments comprenaient 12 nombres courts sans séparateurs (quatre chiffres), 12 nombres longs avec séparateurs (8 à 11 chiffres) et 12 nombres longs sans séparateurs. Ils lisent également des mots et des pseudo-mots : 12 mots courts, 12 mots longs, 12 pseudo-mots courts et 12 pseudo-mots longs. Les mots utilisés étaient des noms, verbes, adjectifs et adverbes français fréquents. Les chercheurs ont suivi les mouvements oculaires des participants à l’aide d’un équipement spécialisé.
Les résultats ont montré que les participants étaient précis à 99 % dans la lecture des mots et des chiffres, avec seulement 35 cas de lecture erronée (sur 3 456 lectures). Ces erreurs se produisaient le plus souvent avec des nombres longs sans séparateurs.
Dans l’ensemble, les participants ont fait 2,5 fois plus de fixations lorsqu’ils lisaient des nombres courts par rapport à des mots de même longueur. Ils ont fait sept fois plus de fixations lors de la lecture de chiffres longs que de mots longs. De plus, les participants faisaient trois fois plus de saccades lors de la lecture de nombres courts que de mots courts et neuf fois plus de saccades lors de la lecture de nombres longs par rapport à des mots longs.
La durée de fixation et l’amplitude des saccades étaient similaires lors de la lecture de mots courts et de nombres courts. Cependant, la lecture de nombres longs entraînait des durées de fixation plus longues que la lecture de mots longs (300 ms contre 250 ms), et l’amplitude des saccades était plus faible lors de la lecture de nombres longs.
Les saccades sont des mouvements oculaires rapides qui déplacent l’attention d’un point à un autre. L’amplitude de la saccade fait référence à la distance angulaire ou à l’étendue de chaque mouvement saccadique, indiquant la distance parcourue par les yeux entre les fixations. La durée de fixation est la durée pendant laquelle les yeux restent relativement immobiles et concentrés sur un seul point, permettant un traitement visuel détaillé et un codage des informations.
« La tendance des résultats concernant les chiffres longs – des saccades de plus en plus courtes ainsi que des fixations de plus en plus longues – montre à quel point la lecture de longs chiffres arabes est une tâche coûteuse sur le plan cognitif. Dans le système d’écriture phonographique, ce modèle de mouvements oculaires représente l’utilisation des règles de correspondance sublexicales impression-son. Les données soulignent que la lecture de grands chiffres est une activité non automatisée et que les chiffres arabes doivent être convertis dans leur forme orale par un processus étape par étape, même par des lecteurs experts », ont conclu les auteurs de l’étude.
L’étude met en lumière les processus cognitifs qui sous-tendent la lecture des nombres. Il convient toutefois de noter que l’étude a été menée sur un petit nombre de participants, tous étudiants en psychologie. Les études portant sur différents groupes d’âge et démographiques pourraient ne pas donner des résultats identiques.
Le journal, « Lire des chiffres est plus difficile que lire des mots : une étude de suivi oculaire,» a été rédigé par Anne-Françoise de Chambrier, Marco Pedrotti, Paolo Ruggeri, Jasinta Dewi, Myrto Atzemian, Catherine Thevenot, Catherine Martinet et Philippe Terrier.