Les agriculteurs français s’insurgent contre les accords de libre-échange avec l’UE
Les syndicats agricoles français s’en prennent aux accords de libre-échange de l’Union européenne qui, selon eux, ouvrent la porte à une concurrence déloyale des produits arrivant d’outre-mer. À l’heure où l’UE exhorte les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles plus durables – et parfois plus coûteuses –, les syndicats affirment que ces accords commerciaux rendent difficile leur solvabilité.
Les agriculteurs français affirment que l’une de leurs plus grandes craintes est que les pommes chiliennes, les céréales brésiliennes et le bœuf canadien inondent le marché européen, mettant ainsi en péril leurs moyens de subsistance. Les agriculteurs français ont continué à manifester sur les autoroutes du pays mercredi, pour protester contre la hausse des coûts, la réglementation excessive et les accords de libre-échange – des partenariats entre l’UE et les pays exportateurs qui, selon les syndicats agricoles, conduisent à une concurrence déloyale.
L’UE a signé plusieurs accords de libre-échange ces dernières années, tous dans le but de faciliter la circulation des biens et des services. Mais les agriculteurs affirment que ces accords entraînent des défis insurmontables.
« Ces accords visent à réduire les droits de douane, avec des quotas maximaux pour certains produits agricoles et des barrières non tarifaires », a déclaré Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques Delors, un groupe de réflexion français dédié aux affaires européennes. « Ils disposent également d’un champ d’application réglementaire de plus en plus large pour promouvoir les normes européennes en matière d’investissement, de protection de la propriété intellectuelle, d’indications géographiques et de normes de développement durable. »
Sud américain accord commercial dans la ligne de mire
Certains pays tiers – comme la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande – maintiennent des accords de libre-échange complets avec l’UE parce qu’ils font partie de l’Espace économique européen. Cela leur permet de bénéficier de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes.
D’autres pays plus éloignés ont signé des accords plus variables avec l’UE, notamment le Canada, le Japon, le Mexique, le Vietnam et l’Ukraine. L’UE a également récemment signé un accord avec le Kenya et un accord avec la Nouvelle-Zélande qui entreront en vigueur cette année ; des négociations sont également en cours avec l’Inde et l’Australie.
Cependant, c’est un projet d’accord entre l’UE et le bloc commercial sud-américain Mercosur qui suscite le plus d’inquiétudes. En discussion depuis les années 1990, ce partenariat commercial entre l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay créerait la plus grande zone de libre-échange au monde, un marché englobant 780 millions de personnes.
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Les agriculteurs français sont particulièrement préoccupés par les effets possibles de cet accord sur l’agriculture. La version la plus récente du texte introduit des quotas pour les pays du Mercosur pour exporter 99 000 tonnes de bœuf, 100 000 tonnes de volaille et 180 000 tonnes de sucre par an, avec peu ou pas de droits de douane imposés. En échange, les droits de douane seraient également réduits sur les exportations de l’UE sur de nombreux produits « à appellation d’origine protégée » (AOP).
A l’heure où l’UE incite les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles plus durables, les syndicats français affirment que ces accords ouvriraient la porte à des importations massives – à des prix plus compétitifs – de produits ne répondant pas aux mêmes normes environnementales que ceux originaires d’Europe. Les agriculteurs français dénoncent ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale de la part des agriculteurs d’Amérique du Sud qui peuvent cultiver des cultures OGM et utiliser des antibiotiques favorisant la croissance du bétail, ce qui est interdit dans l’UE.
Les syndicats de divers secteurs se sont mobilisés après que la Commission européenne les a informés le 24 janvier que les négociations avec le Mercosur pourraient être conclues « avant la fin de ce mandat », c’est-à-dire avant les élections du Parlement européen de juin.
La FNSEA, le plus grand syndicat agricole de France, a immédiatement appelé à un « rejet clair des accords de libre-échange », tandis que la Confédération paysanne, groupe agricole pro-environnemental, a appelé à « l’arrêt immédiat des négociations » sur ce type d’accords.
Un bilan mitigé
« En réalité, l’impact de ces accords de libre-échange varie d’un secteur à l’autre », a déclaré Fabry. « Les négociations préalables aux accords visent à calibrer l’ouverture des échanges pour limiter l’impact négatif sur les secteurs les plus exposés. Et, en même temps, ces secteurs peuvent bénéficier d’autres accords. En fin de compte, il s’agit de trouver un accord global équilibre. »
Cette disparité est criante dans le secteur agricole. « L’industrie du vin et des spiritueux ainsi que l’industrie laitière ont plus à gagner que les éleveurs, par exemple », a déclaré Fabry. Ces secteurs sont les principaux bénéficiaires des accords de libre-échange, selon un rapport de 2023 du Assemblée nationale française.
« L’existence d’accords commerciaux permettant de supprimer les différentiels de droits de douane est un ‘facteur surdéterminant’ pour la compétitivité des vins français », écrit FranceAgriMer, établissement national de l’agriculture et des produits maritimes placé sous la tutelle du ministère français de l’agriculture. dans un rapport 2021. La majorité des accords de libre-échange diminuent ou suppriment les droits de douane pour permettre l’exportation de nombreux produits AOP, catégorie à laquelle appartiennent de nombreux vins.
Toutefois, l’impact sur la viande est moins évident. Alors que FranceAgriMer estime que l’équilibre entre importations et exportations semble être en faveur de l’UE pour le porc, les exportations de volailles semblent diminuer du fait des accords. D’où les craintes sur le projet de traité avec la Nouvelle-Zélande, qui prévoit l’importation dans l’UE de 36 000 tonnes de mouton, soit l’équivalent de 45 % de la production française en 2022. La France dispose cependant encore d’un large excédent de céréales, à l’exception du soja.
« Une monnaie d’échange »
Au-delà de l’impact sur l’agriculture, « ce débat sur les accords de libre-échange doit prendre en compte d’autres enjeux », a estimé Fabry. « Nous sommes dans une situation où l’UE cherche à sécuriser ses approvisionnements et notamment ses approvisionnements en minerais stratégiques. Le Brésil lithiumle cobalt, le graphite et d’autres réserves de ressources ne doivent pas être négligés. »
L’accord avec le Chili devrait permettre d’exporter des minerais stratégiques en échange de produits agricoles. L’Allemagne soutient fermement l’accord avec le Mercosur, car elle le considère comme un débouché pour ses secteurs industriels, selon Fabry.
« Dans pratiquement tous les accords de libre-échange, l’agriculture est toujours utilisée comme monnaie d’échange en échange de la vente de voitures ou d’avions Airbus », a déclaré à l’AFP Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne.
Michèle Boudoin, présidente de la Fédération nationale française du mouton, a déclaré à l’AFP que l’accord avec la Nouvelle-Zélande va « déstabiliser le marché de l’agneau en France ».
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« Nous savons que l’Allemagne a besoin d’exporter ses voitures, que la France a besoin de vendre son blé, et on nous dit que nous avons besoin d’un allié dans le Pacifique pour contrer la Chine et la Russie. Mais si tel est le cas, alors nous avons besoin d’aide pour être capable de produire de l’agneau haut de gamme, par exemple », a-t-elle déclaré.
Enfin, « il y a une question d’influence », estime Fabry. « Ces accords restent aussi un moyen pour l’UE de promouvoir ses normes environnementales pour accompagner ses partenaires sur la voie de la transition écologique, même si cela doit être négocié », a déclaré Fabry.
Marc Fesneau, le ministre français de l’Agriculture, a avancé le même argument. « Dans la plupart des cas, les accords ont été bénéfiques, y compris pour l’agriculture française », Fesneau a écrit sur X la semaine dernière, ajoutant : « Ils le seront encore davantage si nous veillons à ce que nos normes soient respectées ».
Les négociations du Mercosur suspendues ?
Alors que le « siège » promis par les agriculteurs de Paris et d’autres grandes villes françaises se poursuit, le gouvernement français tente de rassurer les travailleurs agricoles à propos du Mercosur, même si le président Emmanuel Macron et le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ont relancé les négociations en décembre. « La France est clairement opposée à la signature du traité du Mercosur », a reconnu la semaine dernière le Premier ministre Gabriel Attal.
L’Élysée a même déclaré lundi soir que les négociations de l’UE avec le bloc sud-américain avaient été suspendues en raison de l’opposition de la France au traité. Les conditions ne sont « pas réunies » pour conclure les négociations, a déclaré Eric Mamer, porte-parole de la Commission européenne. « Cependant, des discussions sont en cours. »
Avant d’être adopté, l’accord devrait être voté à l’unanimité par le Parlement européen, puis ratifié individuellement par les 27 États membres de l’UE.
Cet article a été traduit de l’original en français.