Clara Chichin et Sabatina Leccia, lauréates de la bourse Transverse 2022 financée par l’ADAGP et Freelens, ont créé Le bruissement entre les mursun projet narratif unique mêlant le travail d’un photographe et d’un artiste d’une autre discipline. Cette collaboration, présentée à la Galerie XII du 9 novembre au 18 janvier, a débuté dans les jardins historiques de pêchers de Montreuil.
Parlez-nous de vos pratiques respectives.
Clara Chichin : «Je suis un artiste photographe avec une formation en beaux-arts et une curiosité pour le travail interdisciplinaire. Mes photographies explorent souvent les relations entre les humains, les plantes, les minéraux et les paysages. Récemment, je me suis concentré sur la représentation de la nature et notre lien avec elle.
Sabatina Leccia: « J’ai d’abord étudié l’histoire de l’art et l’archéologie, puis je me suis orienté vers le textile avec un master en « Textile Futures » à Central Saint Martins. Ma pratique textile est très expérimentale et soucieuse des enjeux écologiques. Après quelques années dans l’industrie de la mode, je me suis orientée vers l’art, où je mélange l’art et l’artisanat pour créer des paysages intérieurs. Mon travail est lent, méditatif et me permet de créer des scènes sur papier.
Quel était le thème central de votre projet, Le bruissement entre les murs?
Nous voulions explorer la nature en milieu urbain. Nous vivons tous les deux à Montreuil et nous avons trouvé les murs de pêchers fascinants pour leur signification historique et culturelle. Notre objectif était d’y capturer le sentiment d’abondance à travers des promenades régulières dans les jardins. Le titre, inspiré du texte de Gilles Clément sur les murs, parle des espaces interstitiels qui les séparent. Nous voulions explorer ce qui se passe au sein de ces jardins et ce qui se passe lorsque deux artistes de disciplines différentes se réunissent. Le projet est centré sur l’enthousiasme collectif, l’échange matériel et la collaboration artistique.
Comment ce dialogue se matérialise-t-il dans l’œuvre ?
Clara Chichin : Il y a eu lors de notre première rencontre l’idée d’une photographie augmentée du geste de Sabtatina, une hybridation des médiums. Nos deux pratiques se sont vraiment mélangées et nous avons réfléchi et créé les images ensemble. Nous avons eu la chance d’être accueillis par Arnaud Levenes, en résidence à La Capsule, résidence photographique au Bourget, ce qui nous a permis de travailler ensemble pour réaliser notre travail. Nous avions ce temps de production ensemble où nous montions et rééditions les images, Sabatina travaillait dessus, mais en fait nous étions toujours côte à côte, nous influençant mutuellement, dans une sorte de conversation et d’hybridation.
Sabatina Leccia: J’ai travaillé les images en fonction des saisons, car nous avons visité ce site sur une période d’un an. En hiver et en automne, la végétation est moins florissante et les couleurs sont moins nombreuses. J’ai donc utilisé mon aiguille pour perforer les images, pour les gratter. J’ai beaucoup travaillé avec du papier. Nous avons également imprimé certaines images sur des textiles et j’ai défait certains fils un à un, d’un geste lent pour créer un paysage dans le paysage. Puis, avec l’arrivée du printemps et sa palette chromatique, j’ai proposé de travailler les images à partir de pigments de plantes tinctoriales ou de fleurs que nous pourrions récolter localement. Pour nous, il était important que la couleur provienne des plantes et que les images colorées reflètent les couleurs du jardin. J’ai brodé des fleurs ou des branches sur certaines images. Nous avons également travaillé avec des teintures végétales à base de plantes trouvées dans les jardins. Il y a une relation entre la texture et la transformation des images qui évolue selon les saisons et ce que je vois. Les interventions matérialisent également des relations extra-humaines, invisibles et imperceptibles.
Sabatina parle de la lenteur de sa pratique. Dans le texte de l’exposition, vous parlez d’un « retour au lent rythme de la vie ». Pouvez-vous nous en dire plus sur l’importance de cette longue période ?
Il y avait cette idée de s’autoriser une certaine lenteur, notamment à travers les promenades. Nous voulions être dans un rythme différent, où l’on nous permettait de rêver, sans nous soucier immédiatement de la production ou de la productivité. Nous avons voulu laisser venir à nous l’expérience de ces promenades, de l’observation de la métamorphose du paysage. Cette lenteur s’est également reflétée dans la récolte des plantes avec lesquelles nous avons travaillé et dans la réalisation des images. Nous laissons parfois les images « reposer » avant de les reprendre pour leur donner une nouvelle maturité. Lorsque nous travaillions avec les plantes, nous étions dans ce rythme, suivant le cycle de la nature, et c’est grâce à l’arrivée du printemps, la floraison, que la couleur émergeait dans nos images. dan Cela créait une sorte de tension vivante. Ce qui était fascinant dans ce projet, c’était cette connexion à un autre rythme, une relation directe avec les éléments naturels.
Il y a peut-être une dimension politique dans notre travail à travers la question écologique, mais elle s’exprime de manière plutôt poétique.
Pour nous, il s’agit bien de déambuler, d’observer les transformations, notamment celles des plantes, et de créer une œuvre comme un espace poétique, propice à la rêverie. Nous nous inspirons notamment de la pensée du philosophe Baptiste Morizot et d’Estelle Zhong Mengal, qui argumentent que la crise écologique est une crise de sensibilité. Nous essayons de ramener cette sensibilité. Il y a aussi l’influence de Gilles Clément, qui parle du jardin comme d’un lieu où il est encore possible de se risquer à rêver, comme d’un lieu de résistance. Ce qui était également important pour nous, c’est que la Fédération des Murs à Pêches (https://mursapeches.blog/qui-sommes-nous/documents/), qui regroupe diverses associations, s’engage pour préserver ce quartier de Montreux. C’est un lieu de rêverie, un lieu qui résiste au monde marchand, à l’industrialisation et à l’urbanisation. L’idée n’était donc pas de dénoncer quelque chose, mais plutôt de retisser les sens entre l’humain et le vivant.
Comment votre collaboration a-t-elle modifié vos pratiques respectives ?
Clara Chichin : En tant que photographe, j’ai dû apprendre à me détacher des images.
C’était un peu difficile au début d’accepter que quelqu’un d’autre puisse s’emparer de mes images et les transformer, leur donner une autre forme de vie. Mais ce qui était encore plus stimulant, c’est que cela nous a conduit dans des directions où je n’aurais probablement pas pu aller seul, notamment pour tout ce qui touche au travail des pigments végétaux. C’était quelque chose qui m’intéressait, mais que je n’avais pas osé faire auparavant. . Cette collaboration m’a donc permis de sortir de ma zone de confort. Sans Sabatina, je ne serais jamais allé aussi loin dans cette exploration.
Sabatina Leccia : Cela faisait longtemps que je voulais intégrer la photographie dans mon propre travail, mais je n’ai pas osé. Tout d’un coup, être à côté de Clara qui prenait les photos, c’est devenu plus naturel et intégré dans mon quotidien. Cette collaboration m’a permis d’intégrer ce médium dans ma pratique artistique. Ce fut non seulement enrichissant pour le projet, mais aussi pour nos pratiques respectives. C’est à ce moment-là que nous avons réalisé à quel point cela nous avait nourris tous les deux.
Plus d’informations
Clara Chichin et Sabatina Leccia – Le bruissement entre les murs
Du 9 novembre 2024 au 18 janvier 2025
Galerie XII
14 Rue des Jardins Saint-Paul
75004 Paris
www.galerie-photo12.com