L’appartement parisien d’un illustrateur ne pourrait pas être plus parisien
LES PARISIENS SONT SOUVENT caricaturés comme blasés, mais lorsqu’il s’agit des trésors culturels de leur ville, ils peuvent se montrer d’un sentimental désarmant. Les New-Yorkais considèrent peut-être l’Empire State Building comme kitsch, mais les Parisiens ont un amour sans ironie pour la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe. Il existe également une dévotion très répandue envers le passé artisanal de la capitale : beaucoup ne rêveraient pas, par exemple, d’acheter leurs ferrures de porte en laiton ailleurs qu’au XIXe siècle. À la Providence rue du Faubourg Saint-Antoine, ou leurs crayons n’importe où sauf dans le magasin de fournitures d’art vieux de 136 ans Sennelier.
Cette fidélité aux institutions de la ville a aujourd’hui un défenseur relativement jeune : l’illustrateur de 38 ans Marin Montagut. Élevé à Toulouse par des parents antiquaires, il était amoureux dès son enfance des images de la Belle Époque parisienne et rêvait de s’installer dans la capitale pour faire de l’art ; à 19 ans, il arrive avec une seule valise, un set d’aquarelles et quelques pinceaux en martre.
Tout en recherchant des meubles pour les plateaux de tournage afin de gagner sa vie, il a créé un plan illustré de Paris mettant en évidence certains de ses obscurs ateliers d’artisanat et magasins et l’a vendu depuis l’arrière de sa Vespa à des boutiques concept telles que Merci et Colette. En 2013, il commence à réaliser de minuscules peintures de motifs fin de siècle – les chaises vert sauge du Jardin du Luxembourg, les palettes de peinture à l’huile en bois, les cartes de tarot – qui sont devenues sa signature, en les imprimant sur des foulards en soie ou en porcelaine. Plus tard, après avoir créé un atelier qui emploie aujourd’hui 10 personnes, il a commencé à expérimenter des récipients en verre soufflé ornés de pétales peints à la main, des dioramas en papier découpé (représentant tout, des cœurs enflammés aux montgolfières) qu’il appelle des fenêtres merveilleuses. , bougies, cahiers et boîtes en papier mâché.
Tous ces produits sont désormais vendus, entre autres, chez Montagut. boutique du même nom, qu’il a ouvert il y a trois ans rue Madame dans le VIe arrondissement. Autrefois occupé par un tapissier, l’espace, avec sa façade viridienne vitrée et ses sols grinçants, ressemble à un magasin de souvenirs du début du XXe siècle ; des jouets et objets anciens, notamment des marionnettes mécaniques et des globes faits à la main, côtoient les articles du designer dans des armoires en noyer d’époque.
L’effet pourrait être campant sans l’exécution exquise et la douceur des coups de pinceau de Montagut. En 2021, Flammarion a publié son recueil d’inspirations illustré, « Paris intemporel », une visite de 19 ateliers renommés, de petits musées moins connus et de magasins ésotériques. Avec des photographies à grande échelle, des documents éphémères reproduits et des centaines d’aquarelles, il présente des chapitres sur l’usine de passementerie Passementerie Verrier de la fin du XIXe siècle et l’apothicairerie Herboristerie de la Place Clichy, vieille de 143 ans. Bien sûr, une section se concentre sur la propre boutique de Montagut, le plaçant, à la manière de Zelig, dans le passé légendaire de la ville, où il s’est toujours imaginé.
LE LIVRE A ÉGALEMENT, de manière inattendue, aidé l’illustrateur à trouver le genre de maison qui faisait depuis longtemps partie de son fantasme. Parmi les entreprises profilées, on trouve Soubrier, une entreprise familiale vieille de 150 ans basée dans le 12e arrondissement, à l’est de la ville, qui produisait à l’origine des meubles d’époque et vendait des antiquités, mais loue désormais son inventaire pour des décors de cinéma et de photographie. L’entrepôt en briques de 32 000 pieds carrés de l’entreprise est l’endroit où un accessoiriste pourrait se rendre pour trouver un bureau Napoléon III ressemblant à ceux de l’Élysée ou un casque de scaphandrier en cuivre.
Un jour, alors que Montagut effectuait ses recherches, l’actuel président de l’entreprise, Louis Soubrier, lui montra la ruelle pavée privée voisine. Bordé d’ateliers vitrés d’un seul étage, dont certains avaient été transformés en résidences, c’était tout ce dont le jeune designer rêvait à Toulouse. Pendant plus d’un siècle, à partir du Moyen Âge, la rue fut sous le contrôle de l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs, une coterie de religieuses issues de familles de haute naissance dont les relations contribuèrent à en faire un haut lieu de la fabrication de meubles ; pendant la Révolution française, les artisans ont joué un rôle déterminant dans la prise de la Bastille. Et oui, il y avait un poste vacant : un confortable appartement en duplex creusé dans une maison à deux étages au fond.
La relative tranquillité du quartier est un soulagement pour Montagut, qui a emménagé dans l’immeuble il y a deux ans avec son compagnon Alexis Gilot, acteur, réalisateur et humoriste. Montagut a transformé l’espace de deux chambres de 1 292 pieds carrés en une fusion de Gilded Age Paris et de son autre référence géographique : la Normandie, à environ une heure et demie à l’ouest en voiture. « Vous devez choisir votre ville et l’endroit où vous appartenez au pays », dit-il. “Et la Normandie est ma place.” Sa mère y tient un magasin d’antiquités ; il a une maison de week-end non loin de là.
En effet, la maison du couple, accessible par une porte en bois peint couleur céruléen et surplombée de vignes, apparaît comme une chaumière nichée dans les bois. La petite entrée, peinte en brun vermeil et dominée par une armoire ornée de sept pieds de haut vert forêt du XIXe siècle, cède la place à une cuisine tapissée de rayures crème et ocre. Regroupés sur une table en planches de bois brut, des bougeoirs en verre et en argent munis de cierges roses à moitié fondus lors des dîners du couple, au cours desquels ils servent pot-au-feu ou bœuf bourguignon.
La longueur en forme de loft du long salon rectangulaire, qui jouxte la cuisine, donne aux innombrables objets de Montagut un espace pour respirer. Des dizaines de moulages en plâtre blanc d’époque – torses, bustes, pieds – dont beaucoup sont disposés sur de hauts socles en marbre sculpté, ponctuent l’étendue ; un lustre en cristal victorien est suspendu aux poutres en bois étroites et grossièrement taillées du plafond. À côté de la cheminée, encadrée par un manteau en acajou sculpté, se trouve une maquette en bois de trois pieds de haut de la Tour Eiffel, l’une des dizaines de miniatures que possède Montagut.
Le long du mur couleur mousse derrière l’escalier est accroché un tableau d’objets religieux du Portugal et de l’Italie ; les reliques encadrées avec leurs minuscules bijoux et leurs saints découpés ont inspiré les merveilleuses fenêtres de Montagut. En haut des marches, dans le couloir de la chambre du couple, où une courtepointe suédoise aux chevrons complexes anime le pied du lit, se trouve la petite pièce bondée autour de laquelle tourne l’entreprise de Montagut : son studio. Sans surprise, ce n’est pas un designer qui a besoin d’une boîte blanchie à la chaux pour créer ; il préfère s’installer dans un cabinet de curiosités. Un mur est une tapisserie de cartes de tarot punaises, et sur les surfaces se trouvent des globes de toutes les époques, des figures en bois peintes, de minuscules boîtes récupérées dans l’arrière-boutique poussiéreuse. Alors que Montagut travaille — sur un bureau vintage en pin Ikea, surmonté d’une feuille de liège et placé devant une grande fenêtre donnant sur la tonnelle à raisins en contrebas — son pinceau vole parmi plusieurs aquarelles en cours : d’une commode, d’un cœur surmonté de un diadème, une bergère tapissée de rayures bleues. Le soleil de l’après-midi se penche à travers la vitre, projetant des ombres sur une petite Tour Eiffel en fil torsadé à son coude, et dans la verdure en contrebas, comme au bon moment, une grive commence son chant.
Assistant photo : Simon Junot