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La tisserande française Marie Hazard se perd dans des hachures et des spirales

Communiquer au-delà du mot, au-delà du « médium désastreusement explicite du langage », selon James Baldwin : c’est l’obsession de Marie Hazard.

Hazard est tisserand et nous discutons bien. Pourtant, les mots sont difficiles pour elle. Elle est dyslexique. Elle aimerait pouvoir écrire. Écrire, dit-elle, est « difficile, voire presque impossible » pour elle. Mais rappelez-vous : le « texte » est venu en français du latin médiéval texèresignifiant « tisser ». En latin ancien, texte signifiait « une chose tissée ».

Hazard est née au Havre, une ville dont elle a peu de nostalgie. « J’ai eu une enfance compliquée et je me suis beaucoup remise en question », me raconte-t-elle dans son studio parisien. « Mon plus grand désir était d’acquérir ma liberté, mon indépendance. » Ainsi, elle développe sa voix dans une suite d’ailleurs : Londres (où elle apprend à tisser à Central Saint Martins), puis São Paulo, New York et Mexico. Elle lit beaucoup : « une source inépuisable ». On parle beaucoup de Marguerite Duras et du roman de Roland Barthes. Un discours amoureuxqui a joué un rôle central dans son exposition phare, en 2021, à la Galerie Mitterrand à Paris.

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Avec l’aimable autorisation de l’artiste

C’est ainsi que fonctionne Hazard : d’abord, elle dessine. Elle penche pour les spirales, les formes irrégulières et les touches de couleur qui sont en partie Mark Rothko, en partie Jacques Demy. Puis elle tisse à partir de ce plan dessiné. Elle écoute de la musique ou peut-être un podcast tout en travaillant au métier à tisser. « Le tout est d’écouter. Comment mon corps bouge. Je raconte des histoires. Je pense que le tissage est mon propre langage, une action pour retranscrire mes pensées, mes histoires, mes messages. Ses couleurs sont fraîches au printemps, mais peuvent être maussades et ludiques. Parfois, elle imprime des photographies – scènes de rue brésiliennes, maillot des Lakers, selfies – sur ses textes tissés. C’est peut-être une façon d’allonger le temps, de retarder l’oubli.

Au début du cinéma, le processus de montage d’un plan à côté d’un autre pour créer le troisième sens n’était pas surnommé «  montagemais conversation. Et Hazard, qui a été touchée très tôt par des tisserandes comme Sheila Hicks mais qui est actuellement davantage animée par les livres, la musique et les films, utilise toujours ses œuvres pour converser. Elle me parle d’un motif particulier dans son travail : la spirale. Paris, qui, à mon avis, ne lui a jamais vraiment semblé être son chez-soi, est construit autour du concept de la spirale. Comme elle le dit dans une interview dans sa première monographie, publiée par Zolo Press en 2022 : « J’ai commencé à travailler avec des spirales parce que je me sentais comme telle. Je me demandais vraiment : où dois-je me placer ? … Je me sens beaucoup mieux de ne pas être au centre. Le bord me donne une certaine clarté. Le but, à mon sens, est que l’artiste se perde dans son propre travail. Le moi s’efface et est recréé dans tant de hachures croisées, de petits fils et de motifs hypnotiques.

Hazard n’ignore pas l’intérêt institutionnel soudain pour la pratique du tissage, historiquement rejetée. Le Met vient d’organiser une exposition complète mettant en vedette des tisserandes du XXe siècle (Anni Albers, Lenore Tawney, Olga de Amaral) et d’anciens artistes andins du premier millénaire avant notre ère jusqu’au XVIe siècle. La Tate et le MoMA PS1 ont monté respectivement des rétrospectives d’Albers et de la tisserande Navajo de quatrième génération Melissa Cody. Comme le note sournoisement Hazard, « le tissage est en train de décoller ». C’est un moment bruyant. Tant dans sa création que dans sa réception, l’artisanat inspire l’introspection, à une époque où celle-ci est rare. Il y a une force feutrée dans ses œuvres. Vous ne les sentez pas consciemment agir sur vous lorsque vous les rencontrez pour la première fois, mais ensuite, dans le métro ou dans le parc, ils sont là, se déployant devant vous. Comme une photographie que vous pouvez tenir.

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Harold Fortier: