Après avoir joué un rôle significatif dans la campagne de Donald Trump, le milliardaire Elon Musk, qui détient la citoyenneté canadienne, se mêle, de temps à autre, de politique canadienne. Mais quelle influence at-il ?
En plus d’avoir investi plus de 100 millions de dollars pour mobiliser les partisans de Trump, Elon Musk a mis à profit son réseau social X, dont il est propriétaire, en y organisant notamment une entrevue en direct avec l’ancien (et futur ) président et en y diffusant des publications partisanes tout au long de la campagne présidentielle.
« Trump/Vance DOIVENT gagner. Je ne peux pas supporter de voir et d’entendre Kamala / Walz pendant 4 ans. Ce serait une punition cruelle et inhabituelle ! » écrivit-il le 2 octobre dernier. Sa publication a été vue plus de 78 millions de fois, aimée 709 000 fois et partagée par 91 000 comptes.
« Elon, sur son propre réseau, a un statut de « super utilisateur », c’est-à-dire que tout ce qui est publié est plus vu que ce que l’utilisateur lambda publiait », fait remarquer Nadia Seraiocco, professeure associée à l’École des médias de l’UQAM et spécialiste dans les questions de cybercultures, de datafication et de réseaux sociaux.
Elon Musk n’en a pas que pour la politique des états-unienne. Il considère avec intérêt ce qui se passe au Canada aussi. Au surlendemain de la réélection de Donald Trump, l’homme le plus riche du monde a répondu au commentaire d’un utilisateur lui demandant « de l’aide pour se débarrasser de Trudeau » sur X.
« Il sera défaillant à la prochaine élection », lui a répondu Musk, en anglais. Sa réponse a été vue plus d’un million de fois.
Deux jours plus tard, il partage un graphique illustrant l’évolution du PIB par habitant au Canada, mettant en évidence une baisse depuis l’élection de Justin Trudeau, dont le visage était superposé au graphique.
Le lendemain, Musk publie un autre graphique sur la baisse du taux de fécondité au Canada, démontrant, selon lui, que « le Canada est en train de mourir ».
Nadia Seraiocco estime qu’« on est en droit de demander s’il a l’intention d’influencer » les prochaines élections au Canada. « Cette espèce d’ingérence là dans la politique est assez particulière. Et là, on vient de voir la portée que ça peut avoir », s’inquiète-t-elle.
« Si Musk n’avait pas acheté X et mis à profit cette plateforme aussi puissante pour la campagne de Trump et les gens de droite aux États-Unis, ça se pourrait bien qu’on soit dans un scénario où Kamala Harris serait devenue présidente » , croit pour sa part Aengus Bridgman, directeur de l’Observatoire de l’écosystème médiatique de l’Université McGill.
Un intérêt canadien
D’ailleurs, l’intérêt d’Elon Musk pour la politique canadienne ne date pas d’hier, d’autant plus qu’il a lui-même vécu au pays durant sa jeunesse.
À l’âge de 17 ans, Elon Musk quitte l’Afrique du Sud, où il est né et a grandi, pour s’installer au Canada. Il y obtient la citoyenneté grâce à sa mère, Maye Musk (nom de jeune fille Haldeman), née à Regina, en Saskatchewan, à la fin des années 1940. Il commence des études en économie et en physique à l’Université Queen’s de Kingston , en Ontario, pendant deux ans, avant de déménager aux États-Unis.
Depuis qu’il a accédé au rang d’homme le plus riche de la planète, le p.-dg de Tesla a continué de s’intéresser à la politique canadienne, n’hésitant pas à partager ses critiques à l’égard du premier ministre Justin Trudeau au cours des dernières années.
« Ce n’est pas la première fois qu’Elon Musk fait allusion à Trudeau comme quelque chose qui l’énerve », souligne Nadia Seraiocco.
En 2022, Musk avait notamment comparé le premier ministre à Adolf Hitler en publiant un mème illustrant le dirigeant nazi et où on pouvait lire : « Arrêtez de me comparer à Justin Trudeau » écrit au-dessus de sa tête et « J’avais un budget » en dessous.
Ce dernier répondait à une publication au sujet de l’ordre donné par le gouvernement Trudeau aux banques de geler les avoirs de certains organisateurs du Convoi de la liberté qui avaient paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant près d’un mois
En 2023, Musk avait également accolé le label de « média financé par l’État » au réseau CBC sur X, moins d’une semaine après que le chef du Parti conservateur du Canada (PCC) Pierre Poilievre lui en avait fait la demande.
« C’est inquiétant de voir Pierre Poilievre lui demander des faveurs, parce que, de fait, sans l’intervention de Musk aux États-Unis, on peut se demander si les résultats auraient été pareils », avance Nadia Seraiocco.
« Et là, est-ce qu’il va aller jusqu’à intervenir dans nos propres politiques ? Une chose est certaine, c’est que ça ouvre la voie à ceux qui veulent aller chercher des appuis qui sont un peu inhabituels », poursuit-elle.
Le Parti conservateur a indiqué au Devoir que le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, « n’est pas et n’a pas été en contact » avec Elon Musk.
Les intérêts d’Elon Musk de se mêler des politiques canadiennes s’inscrivent également dans le contexte plus large d’une guerre contre le « wokisme », dont Justin Trudeau incarne, pour certains, le symbole.
Les avancées en matière de diversité et d’inclusion que le premier ministre promet depuis son arrivée au pouvoir sont perçues par le milliardaire américain comme « un danger pour la société », explique Aengus Bridgman de l’Observatoire de l’écosystème médiatique.
Désinformation canadienne
Dans le cadre des élections canadiennes, Elon Musk pourrait non seulement tirer parti de son influence sur X, mais aussi y diffuser de la désinformation, s’inquiète la professeure associée à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM ) Laurence Grondin-Robillard.
Elle donne en exemple la « communauté de l’intégrité électorale », un groupe créé à la fin octobre par Musk sur sa plateforme. Si le groupe était censé permettre aux utilisateurs de signaler des incidents potentiels de fraude électorale, mais il est plutôt devenu le lieu de partage de théories du complot et de fausses informations, selon les vérifications faites par plusieurs médias américains.
« C’est quelque chose qu’il pourrait aussi faire en vue des élections fédérales au Canada, ou même dans d’autres pays. C’est inquiétant, parce que ça peut vraiment influencer notre perception si on s’informe sur X, notamment », fait valoir Laurence Grondin-Robillard.
En réponse à l’élection de Donald Trump et à la multiplication des fausses nouvelles, des millions d’utilisateurs ont choisi de quitter le réseau X pour la plateforme Bluesky — le plus grand exode d’utilisateurs depuis qu’Elon Musk a acheté la plateforme , en 2022.
Or, les partis politiques à Ottawa ne peuvent pas suivre le mouvement pour le moment. Une source gouvernementale a indiquée au Devoir qu’il n’y a « pas de plan » pour le premier ministre Justin Trudeau et son équipe de communications de quitter X.
Le Parti conservateur a simplement affirmé qu’il « communiquait [e] sur les plateformes utilisées par les Canadiens ».
Pour Laurence Grondin-Robillard, il demeure importante pour les politiciens et les médias de continuer d’assurer une présence sur X, malgré la polarisation de plus en plus importante. « Si les politiciens, les chercheurs et les médias commencent à quitter la plateforme, il y a un danger de se couper de gens [plus à droite] qui ont une opinion, un droit de vote et avec qui il faut continuer de communiquer le plus possible. »
Avec Jean-Louis Bordeleau
Dans une version précédente, maintenant modifiée, on indiquait que Nadia Seraiocco était doctorante, conférencière et autrice. Elle est plutôt professeure associée à l’École des médias de l’UQAM et spécialiste dans les questions de cybercultures, de datafication et de réseaux sociaux.