La loi d’amnistie politique adoptée au Sénégal : de quoi s’agit-il et à quoi sert-il ?
- Auteur, Ousmane Badiane
- Rôle, Journaliste BBC Afrique
- Gazouillement,
- Reportage de Dakar
L’Assemblée nationale du Sénégal a adopté mercredi le projet de loi d’amnistie portant sur les faits liés aux manifestations politiques ayant secoué le pays entre février 2021 et février 2024.
Au terme d’une journée marathon de vifs débats et d’échanges parfois houeux, le texte controversé a été approuvé par la majorité des députés. Sur les 165 parlementaires, 94 députés ont voté pour son adoption, 49 contre et 3 abstentions.
Le texte du projet de loi indique que l’amnistie couvrira « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous les supports de communication, que leurs auteurs ont été jugés ou non ».
Ce texte adopté le 28 février par le Conseil des ministres est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique sénégalaise et de l’opinion publique.
Quel est l’objectif de la loi d’amnistie ?
Le projet d’amnistie avait été annoncé par le président Macky Sall à l’occasion du lancement du dialogue national le 26 février dernier, dans une « volonté d’apaisement de l’espace politique, de réconciliation et de dépassement », selon la présidence. sénégalaise.
« Cette loi d’amnistie permettra de pacifier l’espace politique et social, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays », avait déclaré le président Macky Sall.
Le projet de loi d’amnistie survient alors que le Sénégal est plongé dans une crise politique à la suite de l’annonce par le président Macky Sall du rapport de l’élection présidentielle, qui devait se tenir le 25 février.
Cette décision, prononcée comme un « coup d’État constitutionnel » par l’opposition et les organisations de la société civile, a déclenché des violences meurtrières dans le pays.
L’élection devrait finalement avoir lieu fin mars, avant l’expiration du mandat du président Macky Sall le 2 avril, après que le gouvernement a fixé mercredi la date du scrutin au 24 mars, tandis que le Conseil constitutionnel a retenu le 31 mars comme date de l’élection.
A qui bénéficier de l’amnistie ?
La loi d’amnistie adoptée par l’Assemblée nationale devrait permettre à des centaines de citoyens sénégalais en détention suite à des événements et à des manifestations politiques, de recouvrer la liberté sous peu.
Cette loi pourrait également bénéficier aux responsables du parti dissous Pastef, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye candidats à la présidentielle, tous deux en détention pour appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’Etat et troubles à l’ordre public entre autres frais.
Selon le ministre de la Justice Aissata Tall Sall qui défendait le projet de loi devant le parlement, en vertu de l’article 1 de la loi « toutes les infractions criminelles sont comprises dans le champ d’application de la loi d’amnistie », coupant cour aux interpellation de députés de l’opposition notamment ceux de l’ex Pastef qui craignent que des « crimes de sang » ne soient concernés par l’amnistie.
De violents affrontements avaient opposé des forces de l’ordre et des jeunes manifestants suite à l’interpellation puis à la condamnation pour « corruption de la jeunesse » de l’opposant Ousmane Sonko et aux nombreuses manifestations qui ont jalonné ses différentes péripéties avec la justice sénégalaise depuis mars 2021.
Ces dernières semaines, des centaines de détenus interpellés en marge de ces manifestations ont été élargies de prison, suite à l’appel à l’apaisement du président Sall.
Qui a voté pour et qui a voté contre ?
La proposition d’amnistie a soulevé une vague de critiques dans l’opposition.
Malgré le fait qu’il soit le principal bénéficiaire de la loi d’amnistie, l’ex-parti Pastef a rejeté le texte de loi.
Après s’être abstenus mardi lors du passage du texte de loi devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, les députés de l’ex-parti Pastef ont finalement voté contre la loi d’amnistie lors de la plénière mercredi.
Les autres députés de l’opposition, membre de la coalition Yewwi Askan Wi ont voté contre la proposition de loi. C’est le cas des députés de Taxawu de Khalifa Sall, candidat à la présidentielle et du PUR, allié de l’ex Pastef.
Afin de faire passer la loi, les députés de la majorité ont retenu le rapport de voix des députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) qui avaient laissé planer le doute sur leurs intentions.
Dans un communiqué publié mardi, les députés du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) membres du Groupe Parlementaire Liberté, Démocratie et Changement avaient déclaré qu’ils allaient voter en fonction de la position exprimée par les députés du groupe parlementaire Yewwi (opposition) et notamment ceux de l’ex-pastef d’Ousmane Sonko.
« Les députés PDS du groupe parlementaire Liberté, Démocratie et Changement entendent se conformer aux positions du groupe parlementaire Yewwi, qui est principalement concerné par ce projet de loi d’amnistie ».
Les députés du Pds avaient même proposé le retrait du texte en cas de refus du groupe Yewwi de voter la loi d’amnistie.
Un projet de loi controversé
Les organisations de défense des droits humains craignent que la loi d’amnistie ne permette de couvrir les auteurs de tortures et les personnes soupçonnées d’être responsables de la répression meurtrière des manifestants entre 2021 et 2024.
« Cette loi, si elle était adoptée, pourrait concrètement accorder l’impunité aux agents publics responsables de graves violations des droits humains », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch.
« Toute amnistie qui garantirait l’impunité en affranchissant les fonctionnaires gouvernementaux et les membres des forces de sécurité de leur pour de graves violations des droits humains est incompatible avec les obligations nationales et internationales du Sénégal », note Human Rights Watch dans un communiqué.
Selon Seydi Gassama, Directeur Exécutif d’Amnesty International Sénégal, le projet de loi d’amnistie est un « affront aux familles des victimes » et « un déni de justice qui vise à assurer l’impunité aux responsables de la mort de dizaines de Sénégalais « .
Près de 1 000 personnes dont des membres de l’opposition, des journalistes, des activistes et des manifestants ont été arrêtés dans tout le pays entre 2021 et 2024. Depuis l’annonce du rapport de l’élection, au moins 344 d’entre eux ont été remis en liberté, selon la ministre de la Justice, Aïssata Tall Sall.