Le huis clos des médias de lundi pour l’Énoncé économique de l’automne (EFE) restera dans l’histoire comme l’un des événements les plus étranges de l’histoire politique canadienne.
Les portes de la séance d’information politique à Ottawa se sont ouvertes à 9 heures du matin. Chrystia Freeland a démissionné de son poste de ministre des Finances sept minutes plus tard, déclenchant une série de rumeurs et de spéculations.
Quelques heures après le début du confinement, le livre contenant le FES, qui devait sortir à 10 heures du matin, restait enveloppé sous une nappe noire.
Périodiquement, une voix retentissait dans la sonorisation interne crépitante pour proposer des mises à jour qui ne disaient pas grand-chose du tout.
« En raison des informations reçues, nous déterminons maintenant les prochaines étapes », a déclaré la voix désincarnée à un moment donné.
Les heures passèrent sans que l’on sache quelles pourraient être ces « prochaines étapes ».
Les blocages font traditionnellement partie du déploiement des politiques gouvernementales. Journalistes, experts, bureaucrates et personnels politiques se pressent dans une salle de conférence avec du café rassis, des sandwichs préemballés et un premier exemplaire de la politique en question.
Un huis clos permet aux journalistes et aux parties prenantes d’examiner les documents et de poser des questions aux bureaucrates avant de rédiger leurs articles. Une fois la politique en question déposée au Parlement, le blocage est levé et les journalistes sont libres d’en diffuser le contenu.
Les journalistes détenus lundi – dont beaucoup auraient sans doute préféré être sur la Colline du Parlement pour tenter de réagir au tremblement de terre politique – ont regardé divers programmes d’information sur leurs ordinateurs portables et ont parié sur ce qui pourrait se passer ensuite.
Ils ont parcouru les couloirs de l’édifice John G. Diefenbaker à Ottawa, se demandant si l’énoncé économique serait effectivement publié.
Le bâtiment lui-même est peut-être mieux connu comme l’ancien siège de la Commission d’enquête sur le programme de parrainage et les activités publicitaires (la soi-disant « scandale de parrainage ») dirigé par le juge John Gomery.
Cette enquête a mené, au moins en partie, à la chute du gouvernement de Paul Martin.
Au lieu de fouiller dans les discours budgétaires, les annexes et les tableaux de dépenses, les journalistes, choqués, coincés dans l’édifice Diefenbaker, ont dû analyser la déclaration explosive que Freeland avait publiée sur les réseaux sociaux.
« Après réflexion, j’ai conclu que la seule voie honnête et viable est pour moi de démissionner du gouvernement », a écrit l’ancien ministre des Finances.
La nouvelle en elle-même a été un choc. Le fait que cela se soit produit quelques instants seulement avant le début du confinement n’a fait qu’amplifier le sentiment de chaos.
Et Freeland n’a pas abandonné tranquillement. Elle s’en est directement prise à son ancien patron, à sa politique et, d’une certaine manière, à la FES elle-même.
Plus précisément, Freeland a déclaré que le Canada était confronté à un défi de taille en raison de la menace du nouveau président américain Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers drastiques sur toutes les importations canadiennes.
« Nous devons prendre cette menace extrêmement au sérieux. Cela signifie garder notre poudre budgétaire à sec aujourd’hui, afin que nous disposions des réserves dont nous pourrions avoir besoin pour une guerre tarifaire à venir. Cela signifie éviter les gadgets politiques coûteux, que nous ne pouvons pas nous permettre et qui font douter les Canadiens. que nous reconnaissons la gravité du moment », a écrit Freeland.
Finalement, le personnel a annoncé que le huis clos commencerait à 13 h 45. La nappe a été levée et les journalistes ont eu un peu plus de deux heures pour étudier le FES.
En fin de compte, l’énoncé économique lui-même était la partie la moins intéressante du confinement.
Le drame politique de l’époque jette une ombre considérable sur les chiffres. Même la nouvelle d’un déficit de 61,9 milliards de dollars n’est rien en comparaison des implications de la démission de Freeland.
Il y a quinze ans, le chroniqueur politique Paul Wells écrivait ce qu’il appelait les quatre règles qui régissent la politique canadienne. La première était la suivante : « Quelle que soit la situation, la politique canadienne tendra vers le résultat le moins excitant possible. »
Quelle que soit l’évolution des choses à partir de maintenant, le huis clos du FES 2024 rejoindra une courte liste d’événements politiques canadiens qui ont enfreint la première règle de Wells.