Malgré la dégringolade de son parti dans les sondages, et en dépit du fait que Pierre Poilievre semble faire flèche de tout bois depuis plusieurs mois, Justin Trudeau est catégorique : il entend demeurer aux commandes. Il ne faut cependant pas se fier aux apparences : cette décision est le fruit d’une réflexion minutieuse, à l’issue d’une année « difficile ».
Au fil de la longue entrevue éditoriale accordée dans les bureaux de La Pressejeudi, le premier ministre prononce les mots « élections » et « choix ». Il met en garde contre la tentation de succomber au chant des sirènes conservatrices, et il se pose en rempart contre des percées de l’extrême droite.
Mais en même temps, il veut remettre les pendules à l’heure : les Canadiens ne seront pas appelés aux urnes de sitôt. Le pacte avec les néo-démocrates, fait-il comprendre, va tenir jusqu’en 2025 : « J’ai l’intention de continuer à travailler avec le Parlement qu’on a pour gouverner pendant deux ans encore. »
Et le moment venu, il sera au front pour en découdre avec un adversaire beaucoup plus coriace que les précédents. « Il n’y a aucun doute pour moi que oui, je continue, et je dois continuer, et j’ai encore énormément à offrir », assure Justin Trudeau, qui ne déteste pas se retrouver dans la position du négligé.
N’empêche, l’assurance qui se dégage de ses propositions peut être trompeuse. « Ça n’a pas été une année facile, à plein de niveaux. On a passé à travers des moments difficiles en famille – là, ça va bien, mais ça amène des moments de réflexion », confie-t-il lors de cet entretien.
At-il songé à jeter l’éponge ? « Il y a probablement un moment chaque jour où j’ai cette réflexion-là », lance-t-il candidature.
Le facteur qui l’a sans doute fait le plus douter : la famille. « Il y a eu des questions de sécurité pour ma famille, [je me demandais] si j’étais encore capable de protéger ma famille », expose Justin Trudeau.
« Mon père a choisi de quitter la politique quand j’avais 13 ans. Il a pu être là pour nous, les trois enfants, à temps plein avec lui, quand on a déménagé à Montréal », se souvient le chef libéral. Et sans entrer dans les détails, il souligne que s’il est « dur d’être un ado en 2023 », c’est encore plus vrai pour des adolescents qui ont pour père un premier ministre.
Une pente abrupte
Les flocons peuvent bien tomber, donc. Les seules marches dans la neige qui sont au programme chez les Trudeau cet hiver seront ludiques. « Il va y en avoir énormément, rit-il. J’adore ça, et le ski de fond aussi ! » La décision, elle, est claire. « J’ai encore une place en politique », tranche le premier ministre.
À en croire les sondages, la pente sera dure à remonter. Les coups de sonde qui placent le chef conservateur Pierre Poilievre aux commandes d’un gouvernement majoritaire se multiplient depuis l’été dernier. « C’est sûr qu’il y a un certain élan, un intérêt, pour les conservateurs », et que le parti « prend beaucoup de place en ce moment », convient Justin Trudeau.
L’engouement s’explique, surtout, croit-il, par le fait que le gouvernement libéral sert de paratonnerre dans un contexte économique et social incertain.
« Tout est difficile en ce moment, et le gouvernement [en] assumer la responsabilité dans la tête des gens – de façon tout à fait justifiable et compréhensible », affirme-t-il en plaidant que ces maux n’ont pas de solution miracle.
Les réponses des conservateurs et des populistes de droite « qu’on voit chez Trump et d’autres » à ceux qui voudraient « qu’on revienne [à une époque] où tout est plus simple » ne sont pas à la hauteur des défis actuels, a insisté le premier ministre du Canada.
Les enjeux du prochain examen fédéral seront considérables, prévient-il.
Les élections vont être déterminantes, pas seulement pour [savoir] qui va être au gouvernement pour les prochaines années, mais sur quelle piste nous allons comme pays pour les décennies à venir.
Justin Trudeau
Il se braque légèrement lorsqu’on suggère qu’il pourrait faire campagne avec un slogan semblable à celui de François Legault en 2022 (« Continuons »). En revanche, il concède qu’il est plus facile pour un politique « d’être celui qui veut apporter un changement » que de vendre l’idée de « rester sur la bonne voie ».
« Le choix qui se pose en ce moment et aux prochaines élections, c’est un choix qui ressemble un petit peu à celui de 2015 », argumente-t-il, en faisant référence au examen où il a battu le patron de Pierre Poilievre – un certain Stephen Harper, qui a été délogé après environ une décennie au pouvoir.