(Ottawa) Un ministre Canada–États-Unis ? Bonne idée… si on aime la confusion et le dédoublement, estiment d’anciens diplomates. On aura dans les prochaines semaines – probablement pas en novembre – ce que Justin Trudeau décidera. Dans l’intervalle, le premier ministre a annoncé la résurrection d’un comité du Cabinet sur les relations canado-américaines.
« Nous n’avons pas besoin d’un ministre qui se consacre à assurer la cohérence des politiques sur notre relation avec les États-Unis à la table du Cabinet. C’est le rôle du premier ministre d’harmoniser notre approche pangouvernementale », selon Louise Blais, ancienne consule générale du Canada à Atlanta.
« Cette responsabilité ne peut être déléguée. Le leadership réside au sommet. Cela, nos amis américains le comprennent », poursuit celle qui a également été ambassadrice et représentante permanente adjointe du Canada aux Nations unies dans un article paru mercredi sur le site web du magazine Politique.
Le sénateur Peter Boehm est du même avis. « En théorie, cela peut sembler une réponse intéressante pour montrer que le gouvernement est prêt, mais en pratique, les grandes décisions sur la relation bilatérale ont toujours été gérées par le premier ministre », note l’ancien diplomate.
Et puisque la relation bilatérale s’articulera notamment autour de la révision de l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM), une telle nomination sèmerait la confusion. « Qu’est-ce que ça donnerait de plus ? Il n’y a pas au Mexique de ministre responsable des relations mexicano-américaines », illustre-t-il.
Il y a aussi un enjeu de perception, note le sénateur indépendant, qui a été ambassadeur en Allemagne et haut fonctionnaire à l’ambassade du Canada aux États-Unis avant de se retrouver à la chambre haute. Lui ne veut pas trop s’aventurer à le définir, mais Louise Blais le fait dans son article.
« Je m’inquiète du signal que cela enverrait aux Américains. Ils savent déjà à quel point ils sont importants pour nous. La décision aurait une odeur de désespoir. La relation est déjà asymétrique. Nous n’avons pas besoin de souligner cette faiblesse et de projeter notre insécurité », argumente-t-elle.
Remaniement pas si imminent
La rumeur voulant que Justin Trudeau désigne un ministre qui se consacrerait entièrement à la relation entre voisins a circulé ces derniers temps sur la colline du Parlement.
Peut-être est-ce parce que le premier ministre avait remplacé en janvier 2017 le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion, par Chrystia Freeland, misant sur l’imposant réseau de contacts américains de cette ancienne journaliste.
L’idée, en tous les cas, a été discutée dans les hautes sphères du gouvernement, selon nos informations.
Il faudra éventuellement faire preuve de patience avant de connaître le résultat de cette réflexion, car le remaniement ministériel pourrait bien ne pas avoir lieu en novembre, nous a signalé une source gouvernementale.
Trump revient, le comité aussi
D’ici là, le gouvernement libéral a jeté les premières bases de sa stratégie en réaction à l’élection de Donald Trump en ressuscitant un comité du Cabinet sur les relations canado-américaines.
Le comité, qui avait été dissous depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, sera présidé par la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, celle qui a piloté la renégociation de l’ALENA.
« Le Canada et les États-Unis sont des amis et des alliés de longue date », a plaidé sur X la principale intéressée, disant avoir « haine de travailler avec le premier ministre et [s]es collègues sur ce partenariat essentiel ».
Le vice-président sera le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc – accessoirement homme de confiance de Justin Trudeau.
Neuf autres ministres en font partie.
Il s’agit de :
- Anita Anand (Conseil du Trésor et Transports)
- Bill Blair (Défense)
- François-Philippe Champagne (Innovation, des Sciences et de l’Industrie)
- Mélanie Joly (Affaires étrangères)
- Lawrence MacAulay (Agriculture et Agroalimentaire)
- Marc Miller (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté)
- Mary Ng (Commerce international)
- Harjit Sajjan (Protection civile)
- Jonathan Wilkinson (Énergie et Ressources naturelles)
Au-delà de l’économie
Les enjeux commerciaux seront vraisemblablement au cœur des relations entre le Canada et les États-Unis, alors que Donald Trump a promis d’imposer un tarif de 10 % sur toutes les importations américaines.
À cela s’ajoute le dossier de l’immigration, le président désigné ayant annoncé son intention de mettre en œuvre un vaste programme de déportation de migrants.
Le ministre canadien de l’Immigration Marc Miller assure avoir un plan de contingence, mais il refuse catégoriquement d’en dévoiler les contours, dans l’attente de davantage de précisions en provenance du sud de la frontière.
« Ce serait assez innocent d’étaler nos plans comme ça sur le parquet de la Chambre des communes », a-t-il rétorqué jeudi à la bloquiste Kristina Michaud, qui venait de l’accuser « d’amateurisme ».
« Il nous dit qu’il va attendre que ça devienne une menace avant de faire quoi que ce soit, qu’il n’y avait pas de presse parce que Donald Trump entre juste en poste en janvier », at-elle reproché au ministre .