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Critique : « Cyrano » bénéficie d’une mise à jour inspirée du hip-hop au Pasadena Playhouse

Depuis sa création à Paris en 1897, « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand n’a cessé de marquer l’imaginaire du public. Le conte est devenu un mythe moderne, réapparaissant sans cesse sur les scènes et les écrans, tantôt sous une forme traditionnelle, tantôt sous une forme contemporaine, tantôt dans des sitcoms, comme dans l’épisode « The Brady Bunch » « Cyrano de Brady. »

Quelle est la cause de cette fixation sans fin sur ce qui est à certains égards un classique moisi, trop long et surexposé ?

La réponse, bien sûr, c’est Cyrano lui-même. Militaire français de noble lignée, il est aussi redoutable escrimeur que rédacteur, et il combine ces compétences avec un flair olympique lorsqu’il s’en prend à la mendicité et à la médiocrité que la société consacre.

Aujourd’hui, au Pasadena Playhouse, on peut voir un véritable « Cyrano de Bergerac » du XXIe siècle, fraîchement remis au goût du jour dans l’adaptation à main levée de Martin Crimp. La production colorée, fluide entre les sexes et qui brise le quatrième mur de Mike Donahue donne à la langue l’allure du hip-hop. Les personnages rappent leurs répliques quand ils sont en pleine forme, leur muse leur inspirant la bonne rime au bon moment pour terrasser la concurrence. Rostand a rarement sonné aussi bien en anglais. Cyrano est enfin devenu notre contemporain.

Doté de courage, d’intelligence, d’imagination et de style, Cyrano est frappé d’une malformation physique. Son nez est si gargantuesque qu’il estime qu’il le disqualifie de l’amour. Secrètement épris de sa lointaine cousine Roxanne, il se retrouve dans une situation de torture atroce lorsqu’il est appelé à aider Christian, une nouvelle recrue à sa charge, à trouver les mots pour exprimer sa passion réciproque pour cette même femme, dont les standards d’excellence poétique sont aussi exigeants que ceux de sa cousine.

Les conseils verbaux et les interventions épistolaires de Cyrano lui permettent d’exprimer tout ce qu’il a dans le cœur. Il voit l’effet de ses mots sur Roxanne et est fier de sa finesse en tant qu’amant potentiel dont la capacité à séduire surpasse facilement celle du beau chrétien, pourtant rempli de clichés. Mais son succès ne fait qu’intensifier sa solitude. « Cyrano de Bergerac » parle du dilemme inconscient de ceux dont les insécurités concernant l’apparence extérieure empêchent leur beauté intérieure d’être pleinement révélée au monde.

Rostand a distillé cette vulnérabilité dans un seul trait du visage, mais le nez monstrueux de Cyrano est une métaphore de la laideur, réelle ou imaginaire, qui empêche les gens de révéler l’amour qu’ils ont trop peur de déclarer. Dans la célèbre production britannique de Jamie Lloyd de l’adaptation de Crimp, présentée à la Brooklyn Academy of Music en 2022, aucun nez prothétique n’a été utilisé.

Ce qui est peut-être encore plus remarquable dans cette production, c’est le casting de Cyrano. James McAvoy, un acteur de théâtre et de cinéma qui ne manque pas de sex-appeal, a interprété le rôle-titre sans aucune tache sur sa beauté masculine, prouvant à travers l’angoisse de son interprétation que la vulnérabilité n’est pas superficielle.

Au Pasadena Playhouse, Chukwudi Iwuji incarne Cyrano avec un sens plus évident de la blessure. Sa blessure sociale, bien qu’elle ne soit pas imputable à une quelconque imperfection physique, est plus apparente : la vérité vécue de la marginalisation. Surtout connu pour avoir joué le méchant principal dans « Les Gardiens de la Galaxie Vol. 3 » de James Gunn, Iwuji est un shakespearien accompli, et il manie la langue de Crimp avec une prouesse à la fois éblouissante et féroce.

Grâce à l’éloquence exaltée d’Iwuji, la relation artistique de Cyrano avec la langue devient une question de vie ou de mort. Le refus du personnage de s’autocensurer exaspère les autorités, qui veulent réprimer la liberté d’expression, sachant que la liberté d’expression ne peut conduire qu’à la liberté de pensée, un danger redoutable pour les autocrates.

La pièce, qui se déroule au XVIIe siècle, tout comme aujourd’hui, commence dans un théâtre où le public est venu voir le dandy Montfleury (Jonathan Slavin) se pavaner en prononçant ses discours sur « Hamlet ». Cyrano ne supporte pas que l’acteur massacre le texte et le chasse de la scène à coups d’épée. Il se fait ainsi un ennemi immédiat de De Guiche (Michael Nathanson), neveu du tout-puissant cardinal de Richelieu et tsar autoproclamé de la culture.

Cyrano et De Guiche n’étaient pas destinés à être amis. Le sournois et machiavélique De Guiche a utilisé son pouvoir et ses ruses pour piéger Roxanne dans une situation où elle n’aura d’autre choix que de le recevoir comme amant. L’intrigue est élaborée, à la manière française, mettant en place des situations qui seraient farcesques si elles n’étaient pas chargées de dangers mortels.

Will Hochman, à gauche, Rosa Salazar et Chukwudi Iwuji dans « Cyrano de Bergerac ».

(Jeff Lorch)

Le théâtre n’est pas seulement un cadre important pour « Cyrano », mais aussi une manière d’être. Donahue met en scène le début de la pièce de telle sorte que les personnages émergent de différentes parties du public. Les acteurs ne s’adressent pas directement aux spectateurs mais leur font plutôt des clins d’œil ironiques. L’ambiance est enjouée et un groupe de 15 acteurs est prêt à faire des bêtises anachroniques.

La scénographie d’Afsoon Pajoufar et les éclairages de Josh Epstein et Edward Hansen préparent le terrain pour des spectacles métathéâtraux. Le sol de la scène est peint d’un vert citron jeune. Les lumières du studio, dressées comme des tournesols industriels, dominent le décor. Il n’y a aucun doute que l’action se déroule à l’intérieur d’un théâtre.

Iwuji donne à la pièce son allure classique et son aisance. Son Cyrano est le héros de la pièce, même si les limites psychologiques du personnage sont tout autant un facteur dans l’histoire que les machinations de De Guiche, dont la malignité est ridiculisée dans le tour comique flamboyant de Nathanson.

Loin d’être impuissante et réservée, Roxanne, interprétée par Salazar, a plus en commun avec sa cousine qu’avec n’importe quel autre personnage de la pièce. Elle aussi est fière, autoritaire et prompte à la colère. Elle combat des pouvoirs patriarcaux plus grands qu’elle, mais elle ne doit pas être sous-estimée, même si la production n’explique pas vraiment pourquoi tout le monde est amoureux de cette jeune femme magnifique, bien qu’un peu colérique et égocentrique. Cela dit, la scène de séduction, dans laquelle Cyrano, remplaçant Christian, fait l’amour à Roxanne avec des mots, n’a jamais été aussi torride.

Le lien le plus tendre est peut-être celui qui existe entre Cyrano et Christian, interprété par Hochman, dont la naïveté n’est pas tout à fait ce qu’elle paraît. Ce cadet inarticulé ne se résume pas à son extérieur séduisant, mais il faudra un certain temps pour que même le perspicace Cyrano reconnaisse la distinction de son subordonné et sa façon de parler. Ce n’est que lorsque Christian, vers la fin de la pièce, se moque des « hectares de prose de rêve humide et intellectuelle » de Cyrano que les oreilles de ce dernier se dressent avec admiration.

Hochman, qui a joué dans l’excellente production de Broadway de 2019 de « The Sound Inside », livre une performance d’une grande maturité et d’un grand aplomb. La surprise intime qui se produit à la fin de la pièce entre Cyrano et Christian peut sembler fortuite, mais elle résonne quand on considère leur lien d’un point de vue métaphorique. Ces personnages – l’un irrésistible en tant que visage et corps, l’autre irrésistible en tant qu’esprit – ne constituent-ils un amant idéal que lorsqu’ils sont combinés ?

Le soutien de Larry Powell est solide, car Lignière, une poète amie de Cyrano, est une femme fluide qui tire le meilleur parti des costumes flamboyants de Carolyn Mazuca. La vétéran Kimberly Scott imprègne Madame Ragueneau, la propriétaire du café-bar-librairie-pâtisserie qui est aussi une professeure d’écriture à l’instinct infaillible, de légèreté et de gravité.

Donahue, qui a dirigé la formidable reprise de « Little Shop of Horrors » au Pasadena Playhouse et l’extraordinaire première de « The Inheritance » sur la côte ouest au Geffen Playhouse, fait un travail tellement impressionnant avec cette pièce bouleversante que j’hésite à mentionner que certaines des touches modernes semblent superficielles, c’est-à-dire déconnectées d’une vision interprétative plus large. Et je n’ai pas vraiment compris comment Crimp pouvait être si à l’aise pour s’approprier l’original de Rostand tout en étant si réticent à réduire la pièce à une longueur plus gérable pour le public contemporain.

« Cyrano de Bergerac » est construit comme un livret. Il n’est pas étonnant que les compositeurs aient été attirés par la pièce de Rostand. La musique est peut-être l’ingrédient manquant. (« Cyrano », le film inégal de Joe Wright de 2021 avec Peter Dinklage, basé sur la comédie musicale de 2018, avait certainement raison dans son élan de transformer le drame en chanson.) Mais cette production offre sa propre compensation harmonieuse : un panache verbal moderne et une troupe d’acteurs dynamiques et non conventionnels, dirigés par un Iwuji galvanisant dans une performance d’une beauté indéniable.

‘Cyrano de Bergerac’

Où: Pasadena Playhouse, 39 avenue S. El Molino, Pasadena
Quand: 20 h les mercredis et vendredis, 19 h les jeudis, 14 h et 20 h les samedis, 14 h les dimanches. (Vérifiez les exceptions.) Se termine le 29 septembre
Prix: À partir de 40 $
Infos : (626) 356-7529 ou PasadenaPlayhouse.org
Durée : 2 heures, 45 minutes (dont un entracte)

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