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Après l’accord historique sur la biodiversité, que nous réservons la COP16 ?

Deux ans après l’entente majeure qui a consolidé la volonté des États de freiner le déclin de la biodiversité, les pays du monde entier, réunis à Cali, en Colombie, doivent désormais déterminer la marche à suivre pour que ces engagements passent du papier à la réalité.

Moins d’une semaine avant Noël en 2022, les représentants de plus de 190 pays avaient quitté Montréal avec la promesse de protéger 30 % des terres et des océans d’ici 2030 – baptisée 30×30 – et de mobiliser suffisamment d’argent pour le faire.

Cet engagement phare n’est pourtant qu’une seule des 23 cibles qui composent le cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal, un texte dont l’envergure et l’ambition se comparent à l’Accord de Paris pour limiter le déclenchement de la planète.

L’aboutissement de cette entente était un signal clair : la crise de la biodiversité, qui s’accélère à un rythme sans précédent, exige une coordination internationale au même titre que la lutte contre les changements climatiques.

De la restauration des écosystèmes dégradés à la protection des espèces d’animaux en péril en passant par la réduction du recours aux pesticides et par l’amélioration des pratiques forestières, le cadre mondial consacre noir sur blanc les objectifs à atteindre pour vivre en harmonie avec la nature. Toutefois, le plan de match nécessaire à sa réussite doit encore se confirmer.

C’est pourquoi quelque 15 000 participants, dont près d’une centaine de dirigeants et de ministres, convergents vers Cali à l’occasion de la COP16, organisée par le gouvernement colombien.

D’après les mots d’Astrid Schomaker, secrétaire de direction de la Convention sur la diversité biologique (CDB), il s’agit de la plus grande COP sur la biodiversité jamais vue.

Je pense que les gens veulent voir ce qu’il est advenu de ces bonnes intentions exprimées. [à Montréal]si elles se traduisent réellement par des actionsdit-elle.

L’intérêt pour le déclin de la biodiversité s’accentue parce qu’on s’inquiète de ce qui se passe avec les changements climatiques, deux phénomènes interreliés qui s’exacerbent l’un l’autre. Il nous faut nous occuper de la nature si on veut avoir une chance d’atteindre nos cibles climatiques.

Une citation de Astrid Schomaker, secrétaire de direction de la Convention sur la diversité biologique

Les pays sont-ils prêts à appliquer le cadre mondial ?

À l’ouverture de la COP16, seuls 33 pays avaient soumis à la BDC leurs plans nationaux, soit la stratégie qu’ils entendent mettre en œuvre pour s’assurer de respecter les objectifs du cadre mondial sur la biodiversité.

Disons qu’à première vue, ça augure mallance Crystal Davis, directrice de programme au Institut des ressources mondiales (WRI), un groupe de recherche américain dont les travaux s’articulent autour de la protection de la nature et du développement durable de ses ressources. Ces plans étaient attendus d’ici la COP16rappelle-t-elle.

Le Canada, le Mexique, la Chine, la France et l’Indonésie sont au nombre des États qui ont respecté l’échéance, tandis que les plans de la Russie, de l’Inde, du Royaume-Uni et de l’essentiel des pays d’Amérique du Sud – y comprend l’hôte de cette COP, la Colombie – se fait toujours attendre.

Et les États-Unis ?

Les États-Unis sont un des rares pays à ne pas avoir ratifié la Convention sur la diversité biologique, qui réunit 196 nations. Même si les représentants américains ont participé à la COP15 de Montréal et qu’ils seront à nouveau présents à Cali, ils n’ont pas de droit de regard sur les décisions adoptées lors de ces sommets.

Ce n’est pas idéalreconnaît Mme Schomaker, qui précise que Washington s’est néanmoins dit prêt à respecter les cibles du cadre mondial de la biodiversité sans y être contraint. S’ils ne peuvent pas bénéficier des ententes conclues par la BDCles États-Unis sont tout à fait libres de s’y soustraire. Ce déséquilibre peut éventuellement poser un problèmeobserve la secrétaire. Cela peut créer une distorsion de la concurrencepar exemple.

Le mince bilan des plans nationaux occulte toutefois tout le travail qui s’est organisé sur le terrain depuis l’accord de 2022.

En tant que coresponsable de la Coalition de la haute ambition pour la nature et les peuples, un regroupement de 118 pays qui œuvre à l’atteinte de la cible 30 x 30, le IRE a constater une augmentation du nombre de pays qui ont levé la main pour obtenir du soutien technique et financier afin d’élaborer leurs plans, selon Crystal Davis.

La difficile mobilisation des ressources est un obstacle contre lequel des pays se sont heurtés, mais le travail, quoique ralenti, continue de suivre son cours aux quatre pièces du globe, constate de son côté Astrid Schomaker.

Loin de s’en inquiéter, le secrétaire se dit rassuré que 105 pays auront mis à jour leur cible nationale de protection de la biodiversité pour refléter les objectifs du cadre mondial Kunming-Montréal. Les stratégies pour y parvenir sont donc la suite logique du processus. Plusieurs seront soumises d’ici la fin de l’annéeassure Mme Schomaker.

Comment veiller à ce que le cadre soit respecté ?

Après les cibles, la reddition de comptes est essentielle. Sans quoi, comment peut-on s’assurer que les pays ne fassent pas de fausse route ?

Les délégués devront donc s’entendre, à Cali, sur un mécanisme de suivi solide qui permettra d’évaluer, d’année en année, l’efficacité des efforts déployés, et ce, dès la COP17.

Si certains indicateurs semblent plus faciles à déterminer – la superficie de territoire protégé, par exemple, pour atteindre l’objectif 30 x 30 –, d’autres s’avèrent plus ardu à mesurer de façon quantitative […] faute de donnéesfait remarquer Crystal Davis.

Sur un territoire forestier, nous sommes en mesure de savoir si des arbres disparaissent. Mais ce que nous ne pouvons voir, c’est si ces forêts sont en santé et ce qui se passe sous la canopéepoursuit-elle.

Un pays peut aussi décréter qu’une aire est protégée sans faire quoi que ce soit par la suite pour en garantir la conservation.

Il s’agit de savoir dans quelle mesure nos pays protègent réellement les zones qu’ils considèrent comme légalement protégées.

Une citation de Crystal Davis, directrice du programme Food, Land & Water au WRI

Surtout, les pays veulent éviter de revivre l’échec des objectifs d’Aichi, des engagements pris par la communauté internationale en 2010, lors de la COP10 à Nagoya, au Japon, pour préserver la biodiversité. Au terme des 10 ans sur lesquels cette stratégie s’est échelonnée, aucun des 20 objectifs n’avait été pleinement atteint.

Selon Mme Davis, il s’agit donc d’une affaire importante à cocher d’ici la fin de la COP16. Une entente à ce sujet, dit-elle, est à la portée des délégués, ceux-ci arrivant à Cali avec une ébauche de texte sur lequel bâtir la discussion.

Où est le Canada?

Au mois de juin dernier, le gouvernement canadien a dévoilé sa stratégie pour protéger la diversité, qui reflète les objectifs convenus à la COP15 de Montréal. Ce plan est assorti d’un projet de loi afin que le Canada respecte ses obligations internationales d’ici 2030. À la fin de 2023, le pays avait conservé :

  • 13,7 % de ses terres et de ses eaux douces, dont 12,8 % dans des aires protégées ;
  • 14,7 % de ses milieux marins, dont 9,1 % dans des aires protégées.

L’argent est-il au rendez-vous ?

Pour l’instant, non.

Et l’argent, éternel nerf de la guerre de ces grands sommets sur la nature, doit être mobilisé rapidement si les pays veulent pallier le déficit de financement de la biodiversité, évalué à 700 milliards de dollars d’ici 2030.

Les moyens à déployer – par qui ? à quelle hauteur ? par l’intermédiaire de quel mécanisme ? – fera l’objet de débats à Cali, d’autant plus que la COP16 est l’unique sommet prévu d’ici la première échéance fixée dans le cadre mondial.

Les États doivent en effet avoir rassemblé au moins 20 milliards de dollars par année d’ici 2025 s’ils veulent atteindre leur objectif total de 200 milliards de dollars pour 2030. Dans un rapport récent, l’OCDE évaluait que les États étaient à 23 % d’atteindre leur cible d’ici 2025.

À ce jour, peu de pays et aucun acteur du secteur privé ou philanthropique y a suffisamment contribué.

À l’issue des négociations à Montréal, les pays avaient convenu de créer le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité, hébergé temporairement par un organe déjà établi, le FEMafin que nous puissions commencer à affluer rapidement.

Le Canada a joué un rôle de premier plan en versant 200 millions de dollars et d’autres pays l’ont suivisouligne Mme Schomaker. Le fonds existe, les pays ont commencé à y verser de l’argent, les premiers projets ont été sélectionnés, mais il faut en faire davantage. Nous espérons que la COP16 sera l’occasion pour d’autres États de se manifester.

Astrid Schomaker agit à titre de secrétaire de direction de la Convention sur la diversité biologique depuis avril 2024.

Photo : FAO / Alessandra Benedetti

Cependant, ce fonds n’est pas l’unique façon de mobiliser des ressources financières pour la biodiversité. Le cadre mondial appelle en outre les États à réorienter progressivement les subventions mesures pour la natureà hauteur d’au moins 500 milliards de dollars américains par an d’ici 2030.

C’est important de regarder ce qui se passe de ce côté pour éviter que le financement [alloué à la conservation de la biodiversité] ne soit pas absorbé en parallèle par des subventions dommageables pour l’environnement.

Une citation de Astrid Schomaker, secrétaire de direction de la Convention sur la diversité biologique

L’idée ne consiste pas à dépouiller les secteurs économiques de leurs moyens, précise le secrétaire de la BDC. Ces subventions peuvent être réorientées au sein d’un même secteur. En agriculture, elles permettrontient ainsi de financer des méthodes plus durables plutôt que des monocultures.dit-elle à titre d’exemple.

Peut-on mieux partager les bénéfices issus de la nature ?

C’est une des grandes questions que les pays tentent de résoudre à Cali. Comment s’assurer que les profits tirés de la biodiversité ne servent pas qu’à enrichir les plus nantis ?

Sans qu’on s’en doute, la nature entre dans la composition des produits et de médicaments consommés au quotidien. Environ 70 % des antibiotiques et des traitements contre le cancer employés aujourd’hui n’auraient pas vu le jour sans la découverte de plantes et de microbes.

Il y a près de 15 ans, l’adoption du Protocole de Nagoya a affirmé le droit des pays de réglementer l’accès aux plantes et aux animaux qui se trouvent sur leur territoire. Les entreprises et les chercheurs qui veulent prélever des éléments de la biodiversité hors de leurs frontières doivent de leur côté obtenir le consentement de ces pays. Ceux qui s’approprient ces ressources sans demander l’aval des communautés peuvent être accusés de biopiraterie.

Le hic : avec la technologie, il n’est plus nécessaire de se rendre sur le terrain. La séquence génétique peut être transmise par une banque de données virtuelle et être recréée en laboratoire.

Susana Muhamad, ministre colombienne de l’Environnement et du Développement durable, préside la COP16 sur la biodiversité de Cali.

Photo : afp via getty images / RAUL ARBOLEDA

À Montréal, les délégués s’étaient entendus pour moderniser le mécanisme afin de partager de manière juste et équitable les bénéfices tirés de l’utilisation de ces informations de séquençage génétique (DSI).

Mais après deux ans de négociations, le débat qui se dessine à Cali demeure complexe : qui doit être payé pour le recours à ces ressources génétiques ? Peut-on facilement en retracer l’origine ? Comment ces paiements seront-ils versés et quelle institution y veillera ?

La présidente de la COP16, la ministre colombienne de l’Environnement et du Développement durable, Susana Muhamad, espère que les pays pourront faire un défrichage suffisant, qui ne laissera que des détails à affiner lors de la prochaine COP, en 2026.

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Harold Fortier: