Le ministre Jean-François Roberge abolit une aide financière à la francisation à temps partiel
Changement majeur à prévoir pour les dizaines de milliers de personnes — la plupart immigrantes — qui ont amorcé un processus de francisation au Québec. Le Devoir a informé que le gouvernement de François Legault abolira dès la fin septembre l’aide financière qui leur était offerte pour suivre des cours à temps partiel.
C’est le premier geste d’importance posé par le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-François Roberge, dans ses nouvelles fonctions. L’élu, qui a hérité de ce portefeuille de premier plan la semaine dernière, en a averti vendredi les principaux partenaires du milieu.
Sa décision, qui mettra fin à partir du 23 septembre à un incitatif de 28 $ par jour versé aux personnes inscrites à temps partiel à des cours de francisation, a eu l’effet d’une petite bombe chez les organismes en francisation.
M. Roberge justifie son choix en soulevant l’« engouement » auquel fait face Francisation Québec depuis son lancement, en 2023. « On voulait susciter des inscriptions, donc on a donné une allocation, une compensation, pour le temps partiel. Là, la demande a explosé. Et donc, on pense qu’on n’a plus besoin de faire ça », a expliqué le ministre Roberge en entrevue avec Le Devoir.
Lancée en 2019, l’« aide financière incitative pour certains cours de français offerts au Québec » avait servi à plus de 50 000 personnes inscrites à des leçons à temps partiel lors de la première année d’activité de Francisation Québec. Ce nombre représente environ les deux niveaux des élèves en processus de francisation, selon les chiffres fournis par le cabinet du ministre Roberge.
Or, aux dernières nouvelles, la liste d’attente en francisation au Québec ne rapetissait pas. Dans un long rapport d’évaluation déposé en mai dernier, le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, remarquait d’ailleurs que Francisation Québec n’avait pu traiter que la moitié des demandes d’inscription lors de sa première année d’activité. .
Face à ce problème grandissant, Jean-François Roberge a pris la décision de rediriger la « dépense » que représentait l’allocation vers l’offre de services. « À la place d’utiliser l’argent de Francisation Québec pour donner des allocations, pour lesquelles ne sont plus nécessaires, on va utiliser l’argent pour faire de la francisation, a affirmé l’élu de la Coalition avenir Québec (CAQ). Donc, à terme, on va accomplir notre mandat mieux, parce qu’on aura francisé plus de monde. »
« 15 000 personnes de plus »
Toujours selon nos informations, Québec mettra incessamment fin à la compensation salariale versée aux employés d’entreprises de 100 employés et plus. L’aide financière à la francisation à temps plein, qui équivaut à 230 $ par semaine, demeure ; l’allocation de 9 $ par enfant offerte pour payer les services de garde pendant la prestation de cours également.
Le gouvernement Legault estime pouvoir libérer sur une année « 65 ou 67 millions de dollars ». Ces seront « réallouées à 100 % » à Francisation Québec afin qu’elle « augmente l’offre de cours » et embauche des professeurs pour réduire les délais d’attente, promet le nouveau ministre de l’Immigration.
Cela s’ajoutera aux fonds consacrés à la francisation dans le dernier plan d’action sur l’avenir de la langue française. « On pense qu’on va être capable de franciser, sur une année, à peu près 15 000 personnes de plus », a ajouté M. Roberge.
Pris par « surprise »
Vendredi commun, le Regroupement des organismes en francisation du Québec n’a pas caché sa « surprise » et sa « déception » devant la décision du ministre Roberge. « Annoncer ça une semaine avant sa mise en application, à la limite, ça frôle le manque de respect », a soutenu en entrevue le coordonnateur de l’organisme, Carlos Carmona.
« On a des dossiers d’élèves qui pleurent au secrétariat », a lâché Tania Longpré vendredi. Cette enseignante en francisation, détentrice d’un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Montréal, se dit déçue qu’à peine cinq ans après l’apparition de l’allocation, le gouvernement a choisisse de la faire disparaître. « Ça fait longtemps qu’on attendait des incitatifs, puis maintenant que la francisation devient un outil d’intégration majeur, on se fait démontrer le contraire depuis plusieurs semaines. »
Selon Carlos Carmona, l’annonce de Québec risque d’entraîner une « déperdition » de l’intérêt pour les leçons de francisation. Entre autres « parce que le travail ou les horaires ne coïncident pas ».
« La francisation est pourtant le meilleur moyen d’intégration des immigrants », a affirmé le porte-parole libéral en matière d’immigration, André A. Morin. « Encore une fois, la CAQ a mal planifié. C’est lamentable », a soutenu le député du Parti québécois Pascal Bérubé. « Abandonner les nouveaux arrivants à eux-mêmes, sans préavis, ce n’est pas ce que j’appelle « en prendre moins, mais en prendre soin » », a ajouté l’élu solidaire Guillaume Cliche-Rivard.
Qu’à cela ne tienne, le gouvernement ira de l’avant, soutient Jean-François Roberge, qui ne craint pas une perte d’intérêt à l’égard de la francisation. « La tendance est partie, les gens veulent se franciser », a-t-il soutenu.