Fin du projet Lab-École : les fondateurs s’inquiètent pour l’avenir
En septembre, une nouvelle école primaire construite sur le modèle de Lab-École sera inaugurée à Rimouski. Une autre, celle-là à Gatineau, ouvrira ses portes aux élèves à la rentrée scolaire de 2025. Mais ce seront les deux dernières à voir le jour.
Québec n’a pas l’intention de financer d’autres projets du genre. Pour la première fois en entrevue à Radio-Canada, les fondateurs de ce projet-phare en éducation ne cachent pas leur déception.
On leur a montré qu’il ya un véhicule qui est efficace, qui permet de faire des choses, et on souhaite qu’il continue
affirme Pierre Thibault, architecte de renom.
On n’a pas senti une grande ouverture. Ils n’étaient pas fermés non plus, mais c’est sûr qu’on aurait peut-être souhaité un plus grand enthousiasme de leur part.
C’est lui qui a eu l’idée de fonder le Lab-École après avoir visité des établissements scolaires au Danemark. Environ 160 projets d’écoles primaires ont été proposés par 135 firmes d’architecture. Six ont été retenus.
Le reportage de Julie Dufresne
En sont des ressorties des écoles uniques et adaptées à leur milieu, comme celle située à Rimouski, dotées d’un budget de 45 millions de dollars. Elles disposent de beaucoup plus de fenestration, d’espaces récréatifs, de cuisines où on peut aussi pratiquer – et appliquer – les mathématiques.
Sur un fait des concours d’architecture; je pense qu’il faut en faire d’autres. L’innovation, ce n’est pas : on arrête puis on en refera, un lab, dans 25 ans. Je pense que nous, on a montré comment faire des concours. Donc, on souhaite que le ministère […] continuer à faire appel à la créativité québécoise
affirme M. Thibault.
Le chef Ricardo Larrivée aurait aimé qu’on en fasse un projet générationnel, au-delà des gouvernements
du primaire à la fin du secondaire.
Les fondateurs du Lab-école. De gauche à droite : Ricardo Larrivée, chef, Pierre Thibault, architecte et Pierre Lavoie, athlète.
Photo : Les Festifs
Ce nouveau modèle d’enseignement avait été lancé par le Parti libéral du Québec en 2017, puis maintenu par la Coalition avenir Québec. On parlait à l’époque de l’école du futur
.
En 2020, le gouvernement caquiste de François Legault a annoncé qu’il allait uniformiser l’architecture des nouvelles écoles qui seraient désormais construites au Québec. Des écoles disent signature
dans lesquelles le bois et l’aluminium québécois sont mis en valeur, avec des classes et des espaces communs plus grands, davantage de fenestrations et des murs végétalisés.
Au bureau du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, on indique que le Lab-École a inspiré les écoles signature
mais on confirme que le projet pilote n’ira pas plus loin. Lors de la création du Lab-École, il avait été convenu qu’il y avait une limite dans le temps. L’objectif était de penser l’école autrement et c’est ce qu’ils ont fait
dit-on.
Soyons clairs, le Lab-École a inspiré le modèle des belles écoles, c’est-à-dire les écoles nouvelle génération créées par notre gouvernement. Ce qui est certain, c’est qu’on va continuer d’apprendre de ces six écoles pour améliorer ce qui se fait dans notre réseau. Les trois fondateurs peuvent dire mission accomplie.
Le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville
Photo : La Presse canadienne / Christinne Muschi
Dommage si on s’arrête là
dit le troisième fondateur, le triathlète Pierre Lavoie, pour qui les Lab-Écoles sont aussi un mode de vie. C’est un manque de vision totale et on en paiera le prix dans quelques décennies.
Pas de Lab-École à Montréal
Un des regrets des fondateurs du projet est de ne pas être parvenu à construire un Lab-École à Montréal.
Comme le rappelle Pierre Thibault, la conjoncture n’a pas été favorable pour nous
. Il invoque un problème avec le terrain offert. On n’a pas voulu aller là parce que, je disais, c’est un vieux [site] patrimonial
souligne-t-il.
Les questions de gouvernance à la Commission scolaire de Montréal et les tensions entre la commission scolaire et le ministère de l’Éducation n’ont pas favorisé la réalisation du projet.
Pour l’architecte Pierre Thibault, des possibilités existant à Montréal, en particulier dans des quartiers comme Griffintown.
Pierre Thibault en entrevue à Radio-Canada. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Félix Duchesne
J’arrive de Paris où, par exemple, combiné une école avec de l’habitation. Donc, il faut trouver des modèles. C’est pour ça que c’est important d’innover.
Si on veut de la densité heureusement, si on veut que des gens puissent habiter en ville puis aller à l’école à pied, on sait que c’est extrêmement important, on ne peut pas se permettre que des quartiers centraux n’étaient pas d’école
précise-t-il.
Montréal arrive en tête de liste des villes où l’on trouve le plus grand nombre de bâtiments scolaires vétustes dans la province.
Des retombées sous la loupe de chercheurs
Ce n’est qu’en juin 2025 qu’une équipe de chercheurs, mandatée par la direction du Lab-École, qui mesure les retombées de ce dernier sur la réussite éducative, publie les résultats de leurs travaux. Mais d’ores et déjà, l’une des deux professeurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui pilotent l’équipe de recherche parle de signes positifs, même si l’analyse est très embryonnaire.
Je suis aux premières loges pour constater les bienfaits du point de vue de la recherche, mais aussi d’un point de vue très subjectif
dit Mélissa Goulet, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM.
Je vois à quel point l’expérience vécue par les personnes qui fréquentent ces écoles est bonifiée par la possibilité d’aller enseigner la géométrie en faisant faire un carré en raquettes aux élèves dans la neige, par exemple
affirme-t-elle.
Mélissa Goulet ajoute : On a la possibilité d’aller apprendre les fractions en faisant des muffins dans une cuisine qui a été réfléchie pour faire un cours et un atelier de cuisine, sans se casser la tête, avec des ingrédients qui sont accessibles.
Selon elle, l’expérience n’est pas enrichissante que pour les élèves, mais pour le personnel également. Plusieurs enseignantes qui travaillent dans ces établissements, je n’ai pas l’impression qu’elles reviendront en arrière
constate-t-elle.
Le projet de Lab-École fait l’objet d’une recherche.
Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé
À l’organisation Lab-École, la directrice générale Dominique Laflamme n’ose pas se qualifier les résultats des essais […] mais on le sait que ça va être positif, c’est évident
.
Au plan financier, elle reconnaît que les Lab-Écoles coûtent jusqu’à 20 % plus cher. Ce sont des projets innovants qui vont servir à améliorer la conception de centaines d’écoles en train de se construire
déclare-t-elle.
Le ministère de l’Éducation n’a pas été en mesure de confirmer ces chiffres. Une liste des coûts budgétaires pour les nouvelles écoles nous a été transmise.
À titre de comparaison, l’école de 25 classes du Lab-École de Rimouski était budgétée à 45 millions. Une école primaire de 26 classes, qui sera inaugurée aux Cèdres à la rentrée, avait un budget de 45 millions.
Souvent, l’excuse de l’argent est une fausse excuse parce que nous, on voit que finalement ce n’est pas vrai.
Une mini Révolution tranquille
Les trois fondateurs seraient prêts à jouer un rôle de veille pour assurer une continuité. Pour l’heure, ils ont décidé d’un commun accord de mettre fin à leur engagement : ils estiment qu’ils ont rempli leur mandat.
Il fallait un genre de mini Révolution tranquille à partir de nos infrastructures scolaires. Moi, je suis fier d’avoir réussi ça
se réjouit Pierre Lavoie.
Pierre Lavoie déplore que l’éducation ne soit pas une priorité au Québec.
Photo : Radio-Canada / Laura-Jessica Boudreault
Selon lui, l’éducation n’est pas encore une priorité au Québec. Peu importe le gouvernement, on doit rebâtir. Les écoles du Québec ont 60 ans
lance-t-il, invitant même les dirigeants à s’endetter collectivement pour remplacer une école désuète.
L’école, c’est un investissement. Quand on étale le nombre d’élèves par jour sur les 202 jours d’école par année, sur 60 ans, on l’avait calculé, ça représente 5 $ par jour par élève. On aide à la réussite éducative des jeunes et au bien-être de nos enseignants qui en ont tellement besoin
explique-t-il.
Dans les grands ministères, on voit que les sous-ministres changent souvent, que les équipes changent souvent. C’est difficile de maintenir le cap de l’innovation quand toutes les équipes changent
déplore pour sa part Pierre Thibault.
De son côté, Ricardo Larrivée regrette le manque de vision des élus.
Dès que les gouvernements sentent qu’il y a de la pression économique, qu’il y a des élections, ils sont tous pareils : ils ont peur. Alors, ils réagissent avec précaution plutôt qu’avec vision. C’est le rôle des citoyens de leur rappeler : non, au contraire, on veut une vision
se désolé-t-il.